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Aujourd’hui, nous allons plonger dans le cinéma d’horreur des années 80 avec le long-métrage Réincarnations signé Gary Sherman, cinéaste atypique du cinéma d’horreur dont j'avais déjà chroniqué la première réalisation Le Métro De La Mort (voir article) pour Chacun Cherche Son Film. Peu connu du grand public ni même des fans de cinéma de genre, ce réalisateur nous aura donné à voir des films originaux qui développent une vision très noire de l’humanité. Le projet Réincarnations est porté par le scénariste Ronald Shusett connu pour avoir signé le scénario d’Alien avec Dan O'Bannon. Afin de trouver des financements, il demandera tout de même à son partenaire sur Alien d’apposer son nom au scénario sans que celui-ci ait vraiment touché au script, à la différence de Sherman qui a été intégré très tôt au projet. En effet, Shusett, fan de Le Métro De La Mort , considérait que Sherman était le meilleur réalisateur possible pour un projet qu’il envisageait comme une comédie noire fantastique.

Le tournage se passera plutôt bien sous la supervision du producteur Richard St. Johns. Il faut dire que Gary Sherman a eu le nez creux en engageant de jeunes techniciens inconnus mais bourrés de talent comme le directeur de la photographie Steven Poster ou Stan Winston pour les effets gore. Sherman peut compter ici sur le futur chef opérateur de Donnie Darko et un technicien en effets spéciaux qui montrera l’étendue de son talent sur Jurassic Park , le clip de Thriller de Landis ou Terminator. Malheureusement comme souvent aux USA, les têtes dirigeantes des sociétés de production vont changer alors que le réalisateur s’apprête à montrer son montage final. Pendant une réunion houleuse, Sherman va faire face à un certain Mark Damon qui n’apprécie pas du tout ce qu’il vient de voir. Le nouveau producteur le traite alors de Bergman de seconde zone et lui impose des reshoots pour intégrer des scènes-chocs pour un film qu’il trouve trop lent. De plus, il demande des coupes pour modifier le ton de Réincarnations qu’il envisage comme un long-métrage d’horreur et non plus comme une comédie noire. Sherman n’a pas le choix, soit il accepte et garde quelque peu le contrôle sur le film, soit un autre réalisateur est engagé pour tourner à sa place. Sherman s’exécutera avec la promesse que sur son prochain opus, il obtiendra le final cut. Vu son ton nihiliste et certaines scènes insoutenables de son film suivant Descente aux enfers (Vice Squad) sur le milieu de la prostitution, il a obtenu ce qu’il désirait !

Le réalisateur le répétera durant les nombreuses interviews qu’il a données, il n’est pas pleinement satisfait du montage final du film. N’étant pas forcément un fan de la politique des auteurs, j’aurais tendance à lui donner tort et légitimer les choix de ses producteurs pour le coup. En effet, la présence de meurtres très graphiques dans le film fonctionne plutôt bien. Ils font office d’électrochocs dans un long-métrage qui prend son temps et pourrait sembler ennuyeux pour les plus jeunes sans ses excès de violence.

Ce long-métrage s’apparente au feuilleton Twin Peaks de David Lynch à venir. En effet, Réincarnations , tout comme la série culte du réalisateur d’Eraserhead , met en scène une enquête dans une petite bourgade typique des USA où des crimes atroces ont été commis. Nous retrouvons ainsi dans ces deux fictions des lieux typiques comme le dinner, le bureau de la police, ou bien l’école. Dans Réincarnations tout comme dans Twin Peaks et la plupart des films de David Lynch, quelque chose d’obscur et de menaçant semble se terrer sans que l’on puisse clairement le définir. Une atmosphère construite ici avant tout par une musique lancinante et des choix artistiques qui font beaucoup pour l’ambiance même s'ils ne sont pas forcément perceptibles au premier abord.  On remarque ainsi que les intérieurs des maisons dans Twin Peaks (la maison de Laura par exemple) et Réincarnations, sont souvent d’une banalité affligeante. Ils sont en effet dépourvus de couleurs et presque abandonnés comme l’indique la présence de toiles d’araignées. La vie semble ainsi absente de ces lieux malgré ses habitants. On note également que dans Réincarnations , les costumes participent à l'étrangeté de l'oeuvre car ils semblent venir de différentes époques et ne sont nullement représentatifs des années 80, où l’action est censée se dérouler. Une impression renforcée par le comportement de la plupart des protagonistes du film qui sont joués de façon peu naturelle par des acteurs dont les réactions ne semblent jamais en accord avec la situation.

L’ambiance parfois malaisante de Twin Peaks et Réincarnations s’appuie surtout sur la figure du Doppelgänger. Dans le film de Sherman, on découvre ainsi que certains habitants de la ville assassinent de façon atroce les pauvres touristes qui ont eu la mauvaise idée de passer par leur commune. Quelques jours plus tard, les doubles des victimes finiront par revenir à la vie et intégreront la population de la ville sans montrer la moindre trace de blessure. De la même manière que Lynch avec sa fameuse loge noire, Sherman a compris ici que d’un point de vue psychanalytique, le thème du double est source d’effroi pour le spectateur, car il le renvoie à la peur de perdre son identité.

Outre l’ambiance plutôt réussie du film, il faut préciser que le scénario de Shusett nous propose une résolution finale qui est un modèle du genre. Elle permet en effet au spectateur de remettre en perspective toute l’histoire du film et de comprendre l’importance de certains tics des personnages comme lorsque le shérif n’arrête pas de se gratter les mains. Enfin, Réincarnations a marqué les spectateurs de son époque pour la qualité de ses effets spéciaux. On se souvient avec délice de cette seringue plantée dans un œil ou de la fameuse scène de reconstruction faciale qui hantera longtemps ses spectateurs.

Un grand film d’horreur tout simplement ! *

À voir et à revoir !

Mad Will

*NE PAS LIRE LA SUITE AFIN DE NE PAS ETRE SPOILES !

Bien avant Day of the Dead de Romero, Réincarnations humanise le mort-vivant par le biais d'une enquête menée par un shérif devenu zombie qui essaye de se convaincre qu'il est encore vivant. Un long-métrage mélancolique qui nous interroge sur notre peur de la mort comme lorsque la femme du shérif implore son mari de l’enterrer afin de pouvoir enfin se reposer. Également grand cinéaste social, Sherman nous évoque en filigrane comment les petites villes des USA se transforment en des No man's land où les gens abandonnés de tous, vivent littéralement comme des morts-vivants.