Le Beau-père  à voir sur Shadowz : https://www.shadowz.fr/content/the-stepfather-1996

Cette chronique concerne le film original de 1987 et non son remake de 2009. Il faut également ne pas confondre ce long-métrage avec le drame français de 1982 intitulé Beau-Père et mis en scène par Bertrand Blier .

Après avoir abordé dans une précédente chronique Dreamscape disponible sur Shadowz, je vous propose aujourd'hui de revenir sur un autre film de Joseph Ruben , Le Beau-père qui n'a pas reçu un accueil aussi enthousiaste en France qu’aux USA lors de sa sortie. On a coutume de dire qu’un thriller fonctionne quand son personnage de tueur est réussi. Joseph Ruben ne peut qu’être d’accord avec cette célèbre maxime, puisqu’il a tout de suite été intéressé par cette histoire autour d'un psychopathe qui ne veut pas détruire la terre entière, mais juste réaliser le rêve américain, même s’il doit pour cela verser du sang. Un serial killer prêt à tout pour accéder à l'American way of life que Reagan et ses prédécesseurs lui ont vendu : c’est-à-dire la jolie maison, l’épouse aimante et parfaite cuisinière, ainsi que les enfants souriants qui ne fréquentent pas les loubards du lycée.

On retrouve comme auteur de l'histoire originale Donald E. Westlake, un grand monsieur du polar américain qui a connu les honneurs des salles de cinéma par le biais de la caméra de John Boorman (Le Point de non-retour ) de Godard (Made in U.S.A.) ou Costa-Gavras avec Le Couperet, autre thriller mettant en scène de façon plutôt sanglante les contradictions de notre société obsédée par la réussite. Il collabore sur Le Beau-père avec Brian Garfield qui avait écrit le roman qui donna Un justicier dans la ville de Michael Winner au cinéma. Mais ici la thématique du "vigilant" (du justicier) est moquée en raison du sort tragique d’un personnage secondaire de l’intrigue.

Joseph Ruben a cité comme source d’inspiration pour son long-métrage les illustrations de Norman Rockwell. Ce peintre a popularisé l’imagerie d’une Amérique optimiste, une vision positiviste de la consommation de masse et des barbecues entre voisins dans des banlieues cossues. Le film de Ruben nous montre un homme qui aurait été tellement obsédé par cette imagerie qu’elle serait devenue une obsession, un but à accomplir, peu importe le prix à payer pour y arriver. L’ouverture est une parfaite illustration de comment le film fait craqueler le vernis de cette Amérique idéalisée. Par un long mouvement de grue, on découvre une rue de banlieue où tout semble calme. Un paperboy lance le journal du jour à chaque maison. Nous avons vu ce genre d’ouverture des centaines de fois à Hollywood. Mais ici la suite sera différente. La caméra s’approche de la maison par un mouvement d’appareil devenu hésitant. La caméra est comme prise de tremblements. On s’attend presque à ce qu’elle s‘arrête comme si le cinéaste nous demandait si l'on veut découvrir la vérité ou bien rester aux images angéliques de la banlieue. La caméra pénètre alors dans la maison. Nous y découvrons un homme qui semble se préparer pour partir au travail, mais on remarque tout de suite le sang sur son visage. Nous sommes mal à l’aise. Ses gestes sont méthodiques. Il se lave, coupe sa barbe et ses cheveux. Panoramique sur les photos de famille où il apparaît. Il s’apprête à partir, mais son regard se fixe sur un jouet au sol qu’il va ranger dans un coffre. On comprend qu’il y a des enfants dans la maison. Il descend alors l’escalier. C’est au moment où il s’apprête à quitter les lieux que nous discernons en profondeur de champ des corps ensanglantés sur le sol. Nous faisons, grâce à cette mise en scène, le parallèle entre les photos et les corps inanimés sans que le cinéaste ait abusé des effets gores.

Cette séquence nous montre un cinéaste dans la lignée d'un Hitchcock qui s’était déjà intéressé au thriller familial avec L’ombre d’un doute où une jeune fille soupçonnait son oncle d’être un tueur. Ici, Joseph Ruben a parfaitement compris comment fonctionne le suspens au cinéma. Comme certains critiques l'ont noté, Le Beau-père fonctionne selon le principe de la bombe conté par le maitre anglais à Truffaut durant leurs échanges. Filmez un simple dialogue à une table de café et le spectateur finira par s’ennuyer. Intégrez à cette séquence, un plan où vous apercevez une bombe sous la table et soudain les spectateurs seront inquiets pour la vie des personnages et la tension sera à son comble. La force du film est de se jouer sur le fait que nous savons de quoi est capable notre psychopathe dans la première séquence. On s‘attend donc à ce que le personnage reproduise ses actes sanglants quand il se trouve une nouvelle famille. On craint donc pour notre jeune héroïne et sa mère tout le long-métrage, tout en se demandant comment le beau-père va réussir à dissimuler son passé.

Le Beau-père a été inspiré par les exactions du tueur en série John List. Après avoir assassiné sa famille, l’homme avait disparu des radars pour aller refonder une famille dans l’état voisin. Suite à une émission télé, l’un de ses voisins le reconnaîtra plus de 15 ans après les crimes, conduisant à son emprisonnement.  Pour donner vie à l’écran à ce personnage de tueur, Ruben engage Terry O'Quinn, le futur interprète de John Locke dans la série Lost. Ruben dira que ce choix est dû au sourire carnassier de vendeur de Terry O'Quinn, qui lui semblait parfait pour un personnage qui essaye de convaincre les autres et lui-même de sa nouvelle identité. O'Quinn est vraiment excellent dans le rôle. Il joue en effet à merveille le bon père de famille, faisant les bénédicités ou distribuant les bons mots à ses voisins. Mais lorsque le masque de la normalité tombe quand il se croit libéré du regard de l’autre, le comédien nous glace le sang dans les scènes se situant dans la cave. Son regard et son attitude sont alors ceux d’un dément. Sa prestation rappelle ainsi celle d’un Anthony Perkins dans le plan final de Psychose . Comme quoi, un excellent comédien est toujours le meilleur effet spécial, même dans le cinéma à tendance horrifique !

Ruben n’est pas forcément le plus grand des réalisateurs au monde. Mais c’est un solide artisan qui a compris le langage cinématographique. Le plus souvent en un plan, il arrive à résumer les enjeux de son film avec une efficacité redoutable à l'instar de cette scène où le beau-père installe dans le jardin un nichoir identique à la maison où il vit. La séquence se conclut par une plongée : le réalisateur nous indique ici que l’homme est obsédé par un idéal familial de toute façon inatteignable pour lui.

La réputation de film culte aux USA est pleinement méritée pour Le Beau-père ! À redécouvrir sur Shadowz !!!

Mad Will