Je serais franc avec vous… Je n’ai pas beaucoup d’appétence pour les films produits par le studio Marvel.  Pour moi, leurs longs-métrages s’apparentent le plus souvent à de la télévision en raison d’une réalisation souvent anonyme et de scénarios bien trop prévisibles fabriqués pour vous inciter à voir l’épisode suivant. Pour autant ma probité de critique m’a poussé à aller voir sans a priori le nouveau film issu du studio dirigé par Kevin Feige. J’étais même curieux de découvrir Les Éternels, car ce long-métrage est signé par Chloé Zhao dont j’avais apprécié les deux films précédents : The Rider et l’oscarisé Nomadland.

Après deux heures et presque quarante minutes de film, mon verdict est sans appel : elle a sans doute signé l’un des meilleurs longs-métrages issus du studio Marvel. Sans parler de film d’auteur, la réalisatrice réussit ici l’exploit de nous offrir une œuvre bien plus personnelle qu’à l’accoutumée chez Disney malgré un budget pharaonique de 200 millions de dollars et la pression d’un studio connu pour appliquer ad vitam aeternam la même formule.

D’un point de vue visuel, elle propose ici le premier film Marvel tourné en grande partie en décors naturels. Fini les centres urbains anonymes ainsi que les incrustations sur fonds bleus qui finissent pas faire passer le cinéma live pour de l’animation. Dans Les Éternels, les extérieurs sont privilégiés avec un horizon toujours dégagé. On notera également un admirable travail sur les textures et les matières qui font de ce Marvel pas comme les autres, une ode à la nature.

Surtout, elle se révèle bien plus douée que ses prédécesseurs chez Marvel dans sa manière d’agencer le récit. Alors que les précédents longs-métrages de la firme aux grandes oreilles mettaient un temps fou pour nous introduire des personnages connus de tous tels qu’Iron Man, elle réussit ici sur un seul film à développer le parcours héroïque d’une dizaine de personnages issus d’un comics de Kirby ignoré du grand public.

Comment réussit-elle cet exploit ? Tout simplement en redonnant à ces protagonistes leur dimension mythologique. Ne comptez pas sur Chloé Zhao pour vous présenter un Thor accro à la bière comme dans Avengers: Endgame ! La réalisatrice préfère ici mettre en scène des héros qui s’interrogent sur leur statut de surhomme. On pense à Phastos qui pleure sur les ruines d’Hiroshima en regrettant d’avoir donné la science aux hommes. Nous avons également Druig qui semble tourmenté par la notion de libre arbitre alors qu’il peut prendre possession de l’esprit humain à n’importe quel instant. Le film est à ce titre souvent solennel. Une approche qui a entraîné le rejet du long-métrage de l’autre côté de l’Atlantique, certains reprochant à Chloé Zhao le manque de fun et d’humilité d'un blockbuster bien trop amitieux car censé seulement nous distraire. Que ce soient les spectateurs ou les critiques US, ils ont tout simplement oublié une chose primordiale : la réalisatrice aborde ses sujets avec sérieux. Toute personne qui a vu son The Rider et se rappelle de la scène où le héros installe son meilleur ami handicapé sur un taureau mécanique, sait que Chloé Zhao, et c’est tout à son honneur, n’a jamais eu peur du premier degré. Pour autant, Les Éternels tout dieux qu’ils sont, ont fini par ressembler aux hommes avec lesquels ils cohabitent depuis des millénaires. La peur, la trahison, l’amour, la haine, ils ont épousé toutes nos émotions. Ce n’est donc pas un hasard si le film propose la première scène de sexe jamais vue chez Marvel.

Si les superhéros sont nés en Amérique, ils sont à l’origine une remédiation d’archétypes héroïques issus de mythologies plus anciennes qu’elles soient européennes, asiatiques ou bien africaines. Consciente de l’histoire des mythes et grande fan du Tree of Life de Terrence Malick, elle a pensé son long-métrage comme une œuvre à la portée universelle. À ce titre, Les Éternels n’est pas centré sur l’occident (les USA en général dans le comics). Une approche qui aura fait grincer certains adeptes d’une pensée un brin raciste qui auront crié au « wokisme » alors que Les Éternels souhaite interroger l’humanité tout entière sur son devenir.

Les Éternels est un excellent film mais ne peut être considéré comme un chef-d’œuvre du genre. En effet, malgré tout le talent de sa réalisatrice qui signe ici les scènes d’actions les mieux découpées vues chez Marvel depuis des lustres, son long-métrage n’arrive pas totalement à s’extraire des clichés narratifs maintes et maintes fois vus dans les autres films de la franchise. Outre un humour parfois envahissant, nous avons un scénario qui reprend encore une fois l’idée de la constitution d’une équipe de superhéros qui devront s’entendre pour un sauvetage de la planète terre. Enfin, le film manque de méchant véritablement inquiétant et introduit des personnage souvent inutiles qui ralentissent l’action mais qui auront une place dans les plans de Disney à l’avenir.

Pour autant, Zhao a le mérite de concilier œuvre commerciale et vision personnelle, en nous proposant mon film Marvel préféré à ce jour. Ce n’est pas un mince exploit de la part de cette réalisatrice qui est définitivement à suivre.

Mad Will

PS : De toute façon, un film qui commence avec le Time des Pink Floyd ne peut-être qu’une réussite.