Scanners est un film important pour la carrière de David Cronenberg . En effet, ce long-métrage se retrouvera dans le peloton de tête du box-office nord-américain pendant un week-end. Le réalisateur changera alors de statut dans son pays, le Canada, où la critique bien-pensante le traitait de façon condescendante en le désignant comme un pornographe à la solde du cinéma d’exploitation. Fini les épanchements gore (même s’il fait quand même exploser une tête) et le continu sexuel explicite, il s’attaque ici à un genre plus respectable, le thriller mâtiné de science-fiction, par le biais d’une histoire mettant en scène deux télépathes ennemis. Un projet bien plus porteur commercialement en apparence. Mais Cronenberg .n’est pas le genre de réalisateur à se fourvoyer pour réussir. Que ce soit dans Scanners , dans ses films plus expérimentaux et intimistes, ou bien dans ses productions tournées à Hollywood telles La Mouche , il nous parle encore et toujours, par le biais de la mutation, des liens entre le corps et l'esprit.

Scanners a souvent été assimilé aux comics tels que les X-Men. On y retrouve en effet deux groupes qui, après avoir muté, s’affrontent pour savoir s’ils doivent prendre l’ascendant sur l’être humain. De plus, un personnage comme le  Dr. Paul Ruth joué par Patrick McGoohan (l’éternel numéro 6 de la série Le Prisonnier des années 60) rappelle le professeur Xavier. Alors que la bande dessinée superhéroique n’avait pas encore gagné ses lettres de noblesse, la grande force de Cronenberg est de s’inspirer de cette culture pour nous offrir un film d’une grande richesse intellectuelle. Scanners nous interroge en effet sur notre société de surveillance qui est actuellement aux mains des consortiums, tout en nous posant la question de l’interconnexion entre l’homme et la machine. La patte du réalisateur est également présente par le biais de la figure d'un télépathe qui utilise l’art pour faire taire les voix qui l’assaillent, témoignant ainsi du pouvoir de sublimation de la création artistique. Enfin, la conclusion plus qu’ouverte du film laisse le champ libre aux réflexions des spectateurs. Pour Cronenberg , l’homme est appelé à évoluer sans cesse grâce à la technologie, mais devenu un Dieu, quel chemin se décidera-t-il à prendre ?

Revoir Scanners , c’est apprécier la maîtrise visuelle d’un cinéaste dont la critique hexagonale célèbre la profondeur psychologique en oubliant qu’il est surtout un homme d’images. Que ce soit la course-poursuite dans le supermarché ou le final, on est vraiment bluffé par son sens du cadrage et la fluidité de sa mise en scène. Chez lui, chaque plan est signifiant, le cinéaste canadien utilisant l’espace cinématographique pour indiquer les sphères d’influence de chacun des protagonistes. Réalisateur essentiel du cinéma contemporain, l’épure de sa mise en scène atteint ici des sommets lorsqu’il utilise de simples effets de montage comme le fondu enchaîné pour le magnifier à la manière d’un Fritz Lang , en mêlant les visages des Scanners afin de nous signifier la fusion entre les différents clans de télépathes. Enfin, il faut souligner le travail d’Howard Shore sur  la bande-son du film. Le compositeur attitré de Cronenberg ne recourt pas ici à de simples compositions soulignant l'action, mais utilise le résultat d’expérimentations sonores comme bande-son, en lieu et place d’une réelle mélodie, pour mettre à mal les habitudes des spectateurs habitués aux productions d’Hollywood.

Je vous invite donc à revoir salles grâce à Les Bookmakers / Capricci Films, ce monument de la science-fiction dont la restauration en 4k montre que le temps n’a pas d’incidence sur le cinéma de Cronenberg . Indispensable !


Mad Will