Kramer contre Kramer à la sauce gore !

Cronenberg a toujours considéré Chromosome 3 comme l’œuvre la plus autobiographique de sa carrière même s’il n’a jamais affronté de sa vie des monstres prêts à écrabouiller son cervelet à l’aide d’un marteau. Si Chromosome 3 est une œuvre personnelle, c’est avant tout par rapport à sa dimension allégorique. L’argument fantastique permet en effet au cinéaste d’évoquer la terrible séparation qu’il vivait à l’époque. Un divorce rendu difficile à cause de la garde de sa fille. Cronenberg souhaitait éloigner celle-ci de sa mère proche de mouvements plus ou moins sectaires férus de parapsychologie. Une inquiétude qui le poussera à organiser l’enlèvement de son rejeton alors que son ex-conjointe s’apprêtait à partir aux USA.

Dans Chromosome 3 , il est clair que le héros Frank Carveth est un double du réalisateur quand celui-ci essaye de garder sa fille auprès de lui, après avoir découvert des signes de lésions corporelles faites par sa mère. Une inquiétude d’autant plus justifiée que son ancienne épouse est traitée dans une clinique aux mains d’un psychiatre aux méthodes iconoclastes qui semble plus proche d’un gourou que d’un simple analyste freudien.

Chromosome 3 est un long-métrage de transition entre ses premiers films d’exploitation tels que Frissons et Rage et ses réalisations à venir bien plus cérébrales. Si ces premiers essais cinématographiques témoignaient déjà de son obsession pour le body horror (l’horreur corporelle), les protagonistes de Chromosome 3 sont bien plus fouillés et ne se résument pas à des archétypes comme dans ses précédentes réalisations.

Chromosome 3 est un projet d’envergure qui devait permettre à Cronenberg de gagner un peu de crédit chez les critiques et les financeurs de son pays. L’engagement d’acteurs renommés tels qu’Oliver Reed ou Samantha Eggar témoigne de cette volonté de passer un cap pour le réalisateur canadien. Un choix de casting qui s’avère judicieux pour un long-métrage où la tension ne repose pas seulement sur les séquences sanglantes, mais aussi sur le jeu des acteurs lors de séances de psychothérapie où les mots sont censés maintenir le climat angoissant du film. Dans le rôle du psychiatre, Reed est comme à son habitude excellent. Par contre, sa conduite sur le tournage fut moins exemplaire. La production fut en effet appelée par la police dès son arrivée sur le sol canadien. L’acteur s’était fait arrêter alors qu’il rentrait nu à son hôtel à -10 dégrée après un pari dans un bar.  Néanmoins à l’exception de vols de bouteilles sur le tournage, il demeura concentré sur le plateau et donna pleinement satisfaction à son réalisateur. Quant à Samantha Eggar vue chez Richard Fleischer ou dans L'Obsédé de William Wyler , elle semble totalement possédée et incarne avec beaucoup d’ardeur une femme tourmentée dont la maternité est devenue monstrueuse. En faisant appel à des acteurs aux caractères bien trempés, Cronenberg démontre déjà des talents de directeur d’acteurs vraiment impressionnants, bien avant de diriger des stars telles que Jeff Goldblum ou Christopher Walken qui offriront des prestations inoubliables devant sa caméra.

Avec ses cadres géométriques et ses mouvements d’appareil soignés, la mise en scène souvent élégante du film permet de mettre en valeur, par contraste, les séquences les plus sanglantes où le sang et les viscères jaillissent à l’image. Le gore dans Chromosome 3 est là pour nous signifier que notre prétendue civilisation moderne est incapable de contenir le "ça" freudien. Ainsi chez le cinéaste canadien, l’amour maternel conduira une femme à devenir un horrible monstre. De même, les mutations chez la plupart des personnages deviennent l’incarnation des blessures de l’enfance dans des milieux bourgeois où la respectabilité compte plus que tout.

Porté par des séquences réellement impressionnantes comme l’attaque de l’école par les immondes nains mutants tout droit sortis d’un ersatz du Magicien d’Oz, Chromosome 3 nous dévoile un Cronenberg en pleine possession de ses moyens qui parvient avec une habileté confondante à nous offrir une œuvre à la fois cérébrale et organique, où le discours et les éléments horrifiques se répondent de façon harmonieuse. Chromosome 3 est tout simplement un chef-d’œuvre !

Mad Will