Éclectique est le meilleur terme pour définir la carrière de Jonathan Demme . Ce cinéaste caméléon aura fait ses armes chez le pape de la série B Roger Corman et sur la série Columbo. Néanmoins ses premières expériences avec les studios s'avèrent délicates. Sur le long-métrage Swing Shift, il fait face à une Goldie Hawn survoltée qui confond ses affaires de coeur et le cinéma. Après cette expérience difficile à vivre pour lui, il va revenir au cinéma indépendant et signe un documentaire musical autour des Talking Heads : Stop Making Sense . Un amour pour la musique visible dans ses productions ultérieurs comme Philadelphia où la bande-son occupe une place essentielle. Avec Dangereuse sous tous rapports en 1986, on retrouve son regard sensible sur ses personnages. Après une captation d’un spectacle, il tourne Veuve mais pas trop, une des rares comédies de Michel Pfeiffer . Son film suivant qui le rendra célèbre est Le Silence des agneaux d'après un best-seller de Thomas Harris, où l’on retrouve le docteur Hannibal Lecter apparu dans le précédent livre du romancier : Dragon Rouge.

Ce thriller est son troisième film avec le studio Orion qui disparaîtra au cours des années 90. Fondé par des anciens d’United Artists, Orion était une major indépendante qui était plutôt bienveillante avec les réalisateurs qu’elle engageait. On se rappelle ainsi de leur soutien à des projets refusés par les autres studios comme Amadeus ou bien Danse avec les loups de Kevin Costner . Pour Demme , Orion fut une époque heureuse où il signa d'excellents films qui correspondaient à sa conception d'un cinéma intelligent et populaire.

Pourquoi Le Silence des agneaux est-il encore un sommet dans le domaine du thriller ? Je dirais que l’approche profondément humaine de son réalisateur fait ici la différence. En effet, il place Jodie Foster au centre du récit au détriment des tueurs en série qui l'entourent. Dès l’ouverture du film, on découvre la jeune femme gravir un parcours d’obstacles du haut de son mètre soixante alors qu’elle est entourée de brutes baraquées. Elle incarne d’une certaine manière la lutte des femmes contre un patriarcat qui ne veut pas leur donner une place. En effet, pour l’empêcher d’agir, les hommes dans le film essayeront de l’intimider comme le docteur Chilton ou bien tenteront de la manipuler comme Crawford son supérieur qui joue au gentil papa.

Surtout elle retrouvera sur sa route Hannibal Lecter qui est à la fois un personnage séducteur, un mentor, mais aussi et avant tout un monstre et un être sanguinaire. En le regardant, elle triomphera de sa propre souffrance et sera libérée de son enfance. À ce titre, Demme et son scénariste avaient bien compris que c’est bel et bien la résolution du conflit intérieur de Clarice qui est la pièce maîtresse du livre. Libérée de ses propres faiblesses après avoir fait face à Lecter, elle trouvera la trace du tueur nommé Buffalo Bill et l’anéantira facilement. On peut se demander pourquoi Lecter aide Clarice alors qu’il avait piégé Graham dans le roman Dragon rouge qui le mettait déjà en scène. La réponse est simple : il se retrouve dans la jeune femme. En tant que femme dans un milieu masculin, elle lui semble tout autant ostracisée que lui.

Si le film a si peu vieilli, c’est grâce à la sobriété de son réalisateur Jonathan Demme . Son style visuel âpre et efficace, hérité de ses années passées chez Roger Corman, sert à merveille l’intrigue imaginée par l’écrivain Thomas Harris. Le réalisateur ne filme pas le livre Le Silence des agneaux comme un grand spectacle, car il l'envisage comme une oeuvre intimiste qui nous permet de pénétrer dans l’âme de Clarice par le biais d’une caméra qui filme l’actrice par le biais de plans de plus en plus sérrés. Enfin, Demme a parfaitement compris que l’on pouvait montrer des scènes gores si l'on traite toujours le sort des différentes victimes avec dignité.

Depuis 30 ans, nombre de réalisateurs ont essayé maladroitement de copier le long-métrage de Demme, mais aucun ne lui arrive à la cheville. Le Silence des agneaux est unique, car c’est un thriller pensé pour les adultes où l’humain est privilégié. C’est aussi un long-métrage porté par des acteurs magnifiques que ce soient Jodie Foster, Anthony Hopkins et des seconds rôles talentueux tels que Scott Glenn. Enfin, n’oublions pas la musique D’Howard Shore. Le compositeur de Cronenberg nous donne à entendre une partition sans le moindre pathos qu’il souhaitait au plus près des émotions de la jeune femme.

Un grand thriller maniant l’intime et le suspens de façon magistrale. Le terme chef-d’oeuvre n’est pas usurpé pour ce film.

À retrouver en salles grâce à Ciné Sorbonne !

Mad Will