Lorsque Fiona (Gordon), bibliothécaire canadienne, reçoit un appel au secours de sa tante parisienne Martha (Emmanuelle Riva), elle n’hésite pas à traverser l’Atlantique pour secourir la vieille dame. D’aventure en aventure dans la capitale de l’amour, elle se rapproche de Dom (Abel), clochard distingué ayant planté sa tente sur l’île aux Cygnes, au pied de la statue de la Liberté.

Acteurs au jeu très physique et réalisateurs à la poésie très visuelle, Abel et Gordon composent des tableaux comiques dans lesquels les corps se bloquent ou se débloquent au gré des variations de l’environnement. Un peu à la manière d’un Tati dans Playtime, leur film s’ouvre ainsi sur une séquence des plus burlesques dans le métro parisien, où de l’inadéquation des rythmes des objets automatisés et de l’humain naît une douce poésie absurde. Se débarrassant rapidement de son sac de voyage et de ses chaussures, c’est délestée de tout ce poids de la civilisation que Fiona part à la découverte de Paris, pieds nus. Ce n’est donc pas totalement un hasard si elle tombe sur Dom, marginal qui s’est soustrait aux impératifs sociaux, trop rêveur pour s’adapter à la société telle qu’elle est. Pas un hasard non plus si elle n’arrive pas à trouver Martha chez elle, puisqu’elle celle-ci préfère se balader dans la nature que de se laisser enfermer dans une maison de retraite ou un cercueil en raison de son âge extérieur alors qu’elle a gardé son âme d’enfant. Contre le caractère mécanique des objets et même parfois de la musique contemporaine, Abel et Gordon convoquent la souplesse, la rondeur et la sensualité du tango. Ils invitent également Pierre Richard, fidèle incarnation de la résistance du rêve face à la rationalité déshumanisante, à jouer l’amant et ancien partenaire de danse de la tante Martha, dans une scène si finement chorégraphiée et dégageant tant de poésie qu’elle justifierait à elle seule tout le film. Avec leur série de saynètes toutes plus inventives les unes que les autres et exploitant judicieusement la cinégénie des bords de Seine comme de la tour Eiffel, les deux réalisateurs signent une emballante invitation à la liberté.

Florine Lebris