Eugène Green est un cinéaste à part, dont le style frappant et assumé vient s’opposer à toute idée de réalisme et peut faire sourire au premier abord. En voyant La Sapienza, son cinquième long-métrage, le spectateur non-averti peut se trouver surpris, voire dérangé, mais avant tout curieux, s’il accepte d’entrer dans cette esthétique particulière et peu commune aujourd’hui, qui lui fera finalement découvrir une beauté extraordinaire.
Les personnages se meuvent dans le cadre de façon très maîtrisée,
Si le film est audacieux dans son parti-pris esthétique, il l’est aussi dans son propos artistique et philosophique. La recherche formelle est le support d’un récit allégorique qui se fait méditation sur l’architecture et l’art. Alexandre et Goffredo se retrouvent face à des édifices majestueux, sublimés par une photographie qui rend compte d’un mouvement intérieur et lumineux : les panoramiques, les prises de vue aux angles différents et les travellings viennent rythmer les œuvres de Borromini, du Bernin, mais aussi de Michel-Ange, dans une intention qui est pédagogique et qui affirme un style baroque.
Tous ces édifices sont des symboles de beauté. Alexandre les fait découvrir à Goffredo, mais aussi au spectateur. Le mouvement lent de la caméra accompagne le langage de la lumière et de la beauté. Les dômes, les coupoles et les colonnades se trouvent baignés de lumière, rendent compte d’une profondeur spatiale, mais aussi spirituelle. Le rythme harmonieux et calculé avec lequel Eugène Green filme l’architecture orchestre une succession de détails qui viennent compléter une vue plus générale des monuments, dont la richesse et la beauté vont au-delà du langage.
Il s’agit de rendre à l’architecture toute sa dimension sacrée. Goffredo montre à Aliénor son modèle de cité idéale, qui consiste en un temple qui peut accueillir toutes les religions, et même ceux qui n’en n’ont pas. Le travail de l’architecte sur l’espace et la lumière permet de faire sentir une présence, une énergie spirituelle et esthétique.
La Sapienza est à la fois une quête vers la sagesse et une affirmation du pouvoir de l’art. C’est aussi un film aux tonalités différentes, mêlant ainsi le poème philosophique au registre de la comédie. Si lenteur il y a, elle n’est jamais
Le film d’Eugène Green est une évasion hors du monde moderne, un chemin vers ce qui se trouve au-delà de la science et de la beauté, une élévation du regard.
Camille Villemin