La forêt de Quinconces laisse éperdument admiratif. Dès son premier long-métrage, Grégoire Leprince-Ringuet réussit un film ‘’total’’, où non seulement tout a été pensé, avec une vraie ambition intellectuelle et esthétique, mais où le résultat s’avère à la hauteur de l’ambition. Le film est tellement riche qu’il aurait pu être un bric-à-brac indigeste. Or, le jeune réalisateur a savamment dosé les nombreux ingrédients qu’il y incorpore. Les échanges les plus cruciaux sont transcendés par la beauté de dialogues versifiés aux accents très raciniens mais alternent avec des échanges plus prosaïques dans un parler courant, si bien que l’attention et l’oreille ne saturent pas et peuvent savourer pleinement les morceaux de bravoure lyriques. Les comédiens, issus du théâtre, passent de l’un à l’autre avec une telle aisance que l’incursion des vers réjouit les oreilles et jamais ne les heurte. Comme la poésie, musique et danse sont utilisées avec une pertinente parcimonie. Les chorégraphies de Georgia Ives donnent une tonalité épique aux deux nœuds de l’intrigue : la séduction de Camille et la rupture de son sortilège. Quant aux orchestrations électroniques de Clément Doumic, intenses et cristallines, elles prennent le relais des vers lors des scènes muettes pour exprimer la mélancolie de l’être en fuite. De la même façon, la photographie et le montage savent parfois se faire sobres, ce qui donne plus de relief aux splendides scènes nocturnes tournées à la lumière mordorée des lampadaires parisiens.

Grégoire Leprince-Ringuet satisfait donc nos envies sur tous les plans. Il nous nourrit intellectuellement avec ses références érudites, il nous rassasie sensuellement en soignant le son et l’image et en choisissant des acteurs charismatiques. Il mêle la portée métaphysique du maître Desplechin à l’anti-naturalisme de l’initiateur Honoré dans un univers personnel peuplé d’objets magiques et de figures allégoriques. Ainsi le héros s’entretient-il avec la figure du Destin (envoûtant Thierry Hancisse) qui, connaissant l’avenir, pourrait aider la conscience qui doute à trancher. On boit ses paroles à mesure que la caméra tourne autour de lui, lui conférant une puissance ubique. Les deux femmes (Amandine Truffy, incarnation de la douceur & Pauline Caupenne, crédible ensorceleuse) symbolisent également deux directions potentielles pour le jeune homme qui sait qu’il n’a qu’une vie et ne pourra jamais tester la possibilité à laquelle il renonce. Quant à la forêt de Quinconces du titre, elle est la croisée de tous les chemins également valables qui s’offrent à l’homme qui recouvre sa liberté et fait face au vertige du choix. Au lieu de proposer une énième illustration du dilemme amoureux en se complaisant dans des dialogues mille fois rebattus, Grégoire Leprince-Ringuet assume une intensité lyrique grâce à laquelle il se rapproche de la vie telle que nous la dramatisons sur nos scènes intérieures.

F.L.