Grandissant dans un monde confus où les grands récits qui structuraient les consciences des générations précédentes ont périclité, Sonia et Mélanie se laissent peu à peu séduire par les arguments de recruteurs au djihad. Marie-Castille Mention-Schaar a l’audace de se saisir de cet enjeu brûlant d’actualité pour y apporter un éclairage tout à fait intéressant. A travers la paire d’adolescentes dont elle retrace les destins entremêlés, elle explore deux formes possibles d’embrigadement. Si les confrontations entre parents et enfant ne sonnent pas toujours justes, les séquences au sein de la cellule de déradicalisation, quasi documentaires, sont beaucoup plus réussies. La réalisatrice a en effet choisi de filmer Dounia Bouzar, fondatrice du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’Islam, dans son propre rôle. Profitant de sa légitimité de musulmane et de l’étendue de sa culture religieuse, cette anthropologue combat les djihadistes sur leur propre terrain, en démontrant aux nouvelles converties que leur vision de l’Islam est fautivement restrictive si elles en oublient le message le plus fondamental : l’amour du prochain. S’appuyant sur ses résultats des recherches, le film décortique les ficelles sur lesquelles les recruteurs de Daech n’hésitent pas à tirer. Paradoxalement, ce sont souvent des mobiles humanitaires, la soif de justice et de paix, qui poussent à s’enrôler dans la guerre sainte. En outre, le recours des djihadistes à un discours complotiste satisfait la tendance de l’esprit humain à voir dans le réel davantage de liens de causalité que de phénomènes aléatoires, en plus de procurer un jubilatoire sentiment de contrôle intellectuel. L’ancestral mythe de l’âge d’or, accompagné de la bonne vieille antienne nostalgique de la décadence morale, est également utilisé. Faisant son miel de l’idéalisme de la jeunesse et flattant son orgueil, cette rhétorique vise à associer le libéralisme à la dépravation pour transformer la soumission à la loi divine en voie de la supériorité morale. On ne peut que souhaiter que ce film trouve son public, qu’il permette d’ouvrir de précieuses discussions dans les classes tant, de la même manière que le vil Tartuffe et le naïf Orgon ne sont que les deux faces d’une même médaille, l’aveuglement du crédule est la condition sine qua non du pouvoir de l’endoctrineur.

F.L.