Etouffé par l’agitation vaine des villes, Teddy (Raphaël Personnaz) prend un jour conscience qu’il ne tient qu’à lui de vivre autrement. Animé par l’envie de découvrir sa vie intérieure, il plaque tout pour s’acheter une cabane au bord du lac Baïkal, isolée des autres habitations situées à plusieurs dizaines de kilomètres de taïga. Seul, avec pour toutes possessions nourriture, bougies et livres, loin de tout emploi du temps surchargé destiné à meubler le vide d’un remplissage stérile, il savoure chaque minute de ses journées pendant un an qui lui paraît une vie. Suivant son rythme, la caméra prend le temps de capter la beauté de la nature gelée qui l’entoure. La voix off nous retranscrit les pensées qu’il consigne dans son carnet de bord, inspirées du livre de Sylvain Tesson dont le film est une libre adaptation. L’ermite temporaire est surtout frappé par le changement radical que son isolement induit sur son rapport au temps. Après avoir vécu des journées de jeune parisien sur-occupé, la famine temporelle toujours au ventre, il a tout d’un coup la disponibilité pour laisser résonner en lui chaque apparition animale, chaque tressaillement végétal, chaque craquement minéral. Son rapport aux êtres humains est lui aussi modifié. Alors que la promiscuité urbaine nous pousse à considérer l’autre comme un envahissement pénible, une faible densité démographique permet de retrouver l’envie et la joie du contact humain. Toute la seconde partie du film est donc consacrée à la relation à l’intensité à nulle autre pareille que Teddy noue avec Aleksei, criminel en fuite. Lui qui subit son exil ne comprend pas pourquoi son confrère se cache autant que lui alors qu’il aurait la possibilité de vivre parmi les siens, non loin de regarder le pari existentiel de Teddy comme une lubie de privilégié. Cela enrichit le film d’une ambivalence, qui aurait pu être approfondie avec profit si l’on avait eu accès aux inévitables doutes qui ont dû parfois étreindre le protagoniste lui-même. Malgré ce manque, le film a le mérite de nous faire partager une expérience hors du commun, dans un décor éblouissant. 

F.L.