En 1950, six ans après le succès de Laura, Otto Preminger réunit à nouveau Dana Andrews et Gene Tierney dans Mark Dixon, détective, un film noir aux allures de drame psychologique. Un film tout en nuances qui interroge le manichéisme avec justesse et finesse.

Mark Dixon (Dana Andrews) est détective dans la police new-yorkaise. Cependant, son tempérament violent le conduit souvent à agir brutalement envers les suspects et les criminels, jusqu’au jour où, au cours d’une enquête, il finit par donner un coup de poing fatal à l’un d’eux. Ne sachant comment agir, il décide de faire disparaître le corps. Un chauffeur de taxi est alors accusé, mais Dixon tombe amoureux de sa fille, Morgan Taylor (Gene Tierney).

Otto Preminger situe l’action dans le décor urbain classique du polar. Les rues sales et mal éclairées de New-York conduisent le spectateur dans des appartements miteux, et les sous-sols abritent des salles de jeux clandestines où l’on peut gagner de grosses sommes d’argent, mais surtout en perdre beaucoup, ce qui n’est pas sans poser problème. La nuit urbaine est triste et lugubre, à l’image de ces visages tendus et angoissés, souvent filmés en gros plan.

Le réalisateur offre une approche singulière du film noir, en dressant le portrait d’un personnage torturé et complexe. Mark Dixon doit faire face à un dilemme moral qui le conduit à éprouver un grand tourment intérieur. À cela s’ajoute aussi le lourd passé qu’il refoule et dont il essaie à tout prix de se détacher : l’image de son père, ancien gangster, le hante. Du fait de son crime, Dixon est rattrapé par son destin, auquel il ne semble pas pouvoir échapper. Son personnage revêt alors des allures de héros tragique, en quête de rédemption, refoulant le passé et luttant contre sa destinée.

Le film s’interroge : qu’en est-il de la prédestination ? Dixon est-il un flic ou un voyou ? Faut-il qu’il soit tout l’un ou tout l’autre ? Sa personnalité tourmentée et sa dépendance à la violence n’excluent cependant pas sa grande sensibilité et sa détermination à vouloir faire le bien. Toute l’ambiguïté du personnage est là, et le génie de Preminger est de faire de ce flic un meurtrier attachant et tourmenté. La fluidité de la mise en scène et du récit vient donner au héros toute son importance.

L’image elle-même travaille les personnages. De nombreux plans séquences dialogués permettent un accès privilégié à leurs tourments, leurs sentiments. Les nuances dans l’utilisation du noir et blanc dans une palette habilement expressionniste reflètent celles du personnage de Dixon mais aussi de Morgan, et leur dressent un portrait à la fois psychologique et physique. Morgan n’est pas ce personnage de femme fatale classique d’un film noir. Elle est ici détournée de son usage traditionnel pour donner plus de force au dilemme du héros, mais aussi pour le faire pencher avec justesse du côté du bien.

Par une très grande maîtrise de la mise en scène et l’écriture résolument moderne d’un scénario qui joue avec le genre du film noir, Otto Preminger tisse un drame psychologique marquant, aidé en cela par la performance juste et nuancée de ses acteurs, Dana Andrews et Gene Tierney.

Une (re)découverte étonnante à apprécier en salles en version restaurée.

Camille Villemin