Si Carlo Lizzani n’est pas cité comme le meilleur cinéaste italien, la marche étant très haute, cet homme qui a été un des piliers de la cinéphilie et de la vie culturelle italienne jusqu’à sa mort en 2013, a été injustement oublié.

À l’occasion de la (re)sortie de trois de ses films par le distributeur Les Camélias, La chronique des pauvres amants (1954) Storie di vita et malavita (1975) San Babila : un crime inutile (1976), je souhaitais remettre sous la lumière des projecteurs cet immense cinéaste avec son long- métrage La chronique des pauvres amants qui fut primé au Festival de Cannes en 1954. Cette adaptation du roman de Vasco Pratolini, Cronache di poveri amanti publié en 1947, est un récit choral qui relate la montée du fascisme en Italie dans les années 1920 par le biais entre autres des exactions des chemises noires. Il me semble utile, alors que l’extrême droite avance à grands pas dans les pays européens, quand elle n’en a pas déjà pris le pouvoir, de revenir aux origines d’un mouvement qui a conduit l’Europe à la guerre et au chaos. Nous devons nous rappeler que rien de bon ne peut venir d’un régime totalitaire et que la démocratie ne s’obtient pas sans effort.

Florence 1925. Parmi les habitants de la via del corno, Mario (Gabriele Tinti), typographe de son état et Bianca (Eva Vanicek) s’aiment et veulent se marier. Milena (Antonella Lualdi) et Alfredo (Guliano Montaldo), propriétaires d’une charcuterie, le sont déjà et reviennent d’un court voyage de noces à Rome. Quant à Maciste (Adolfo Consolini), le maréchal-ferrant, Ugo (Marcello Mastroianni), le marchand de légumes, ou le cordonnier, ce sont les représentants d’un peuple laborieux qui souhaiterait améliorer ses conditions de vie. Cependant le pouvoir fasciste jette un regard noir sur ces individus devenus suspects dès qu’ils n’ont pas leur carte au parti. Surveillés par Carlino (Bruno Berellini) l’expert-comptable, leurs aspirations populaires seront brisées.

Si Lizzani s’inscrit clairement dans la mouvance du néoréalisme italien (La chronique des pauvres amants était d’ailleurs à l’origine un projet écrit par Visconti), il s’en démarque par une approche psychologisante et son attachement à ses personnages, allant jusqu’à instiller quelques touches de pathos dans son scénario et sa mise en scène. Il relate ainsi avec un plaisir non dissimulé les intrigues amoureuses ou les considérations mercantiles qui animent cette petite rue. Mais le cœur de son sujet est bien de montrer comment la peste brune va se disséminer, avec son lot de lâcheté d’un côté, d’engagement et d’héroïsme de l’autre.

Lizzani, nous dévoile alors comment la haine finit par se répandre suivie par une explosion de violence perpétrée par un pouvoir fasciste qui vient corrompre les âmes, briser les couples, et changer souvent tragiquement le destin de ces êtres.

Laurent Schérer