Comédie fantastique sud-coréenne sortie en janvier 2018 en Corée, Psychokinesis a été racheté par Netflix et diffusé en France sur la plateforme à partir d’avril 2018. Il s’agit de la dernière réalisation de Yeon Sang-ho, cinéaste sud-coréen très talentueux qui a d’abord fait ses armes dans les films d’animation courts et longs avec notamment l’excellent The King of ping avant de passer au film d’action live avec Dernier train pour Busan, présenté en 2016 à Cannes à la séance de minuit et qui avait beaucoup marqué les esprits. Et pour cause ce film de zombies aux séquences spectaculaires offrait une véritable leçon de mise en scène doublée d’une charge sociale corrosive dans la pure tradition d’un Romero. En mettant en scène un groupe de survivants prisonniers d’un train plein à craquer de bouffeur de chairs, le cinéaste démontrait un sens aigu du découpage et de la gestion de l’espace tout en distillant, en fond, une critique généralisée de l’individualisme. Après un succès mérité, on attendait donc avec impatience ce dernier né.

Et autant dire tout de suite que l’on n’est pas déçu. Mieux, Netflix tient ici l’une de ses meilleures récentes sorties puisque Psychokinesis balaye très facilement les BrightCloverfield Paradox, Mute et autre Annihilation.

Soudain doté de pouvoirs psychokinésiques, un père de famille tente de se réconcilier avec sa fille. Cette dernière est en plein affrontement avec une mafia locale qui tente de mettre la main sur un quartier entier en terrorisant les locataires.

Avec un ton typiquement asiatique de fantastique mâtiné de comédie, Yeon Sang-ho confirme son talent pour détourner les codes d’un genre. Après s’être attaqué aux films de zombies en le dopant à coup de satire, le réalisateur coréen marche en terrain Marvelien avec cette histoire de père de famille un peu lâche qui se retrouve du jour au lendemain doté d’un pouvoir extraordinaire. Et c’est surtout dans cette relecture d’un genre extrêmement balisé (10 ans depuis le premier Iron Man) que le film trouve son intérêt. En effet si visuellement il offre des séquences d’actions très immersives et que la réalisation et très efficace (le découpage surtout) on est loin des fulgurances visuelles de Dernier train pour Busan et de ces zombies affamés remontant à fond de train les allées du TGV. Pour info, Psykokinesis a été tourné avec trois caméras afin de pouvoir bénéficier de la technologie Screen X, un écran de cinéma de 270°qui entoure le spectateur. Toute la mise en scène est donc axée sur une volonté d’immersion et se révèle très technique et spectaculaire avec mouvements d’appareils et plans emblématiques de circonstance surtout dans les affrontements entre policiers typés CRS et manifestants. Mais la sortie sur Netflix nous prive de cette expérience et un écran de télévision ou d’ordinateur ne rend pas franchement hommage à la démarche.

Comme pour Dernier train pour Busan, Psykokinesis porte en lui un discours social très fort qui brocarde frontalement capitalisme et ultralibéralisme avec cette trame narrative qui oppose une entreprise de construction pilotée par la mafia, et les locataires d’un quartier qui ne veulent pas vendre leurs biens et refusent de se laisser intimider. Mais le sous-texte politique passe en réalité au second plan puisque le vrai sujet reste celui du lien familial, sujet courant dans le cinéma asiatique. Bon, le cinéma français est aussi obsédé par le thème de la famille, mais ici (et comme souvent) elle est envisagée comme un rempart nécessaire à la déliquescence du monde, (on est donc loin de l’approche psychanalytique très franco-française !) et c’est sur ce plan familial que se situe la victoire du héros. Il est important de le souligner car quand le générique de fin apparaît, le message du film est particulièrement sombre : même un super héros ne peut lutter contre le capitalisme. L’espoir est donc à chercher du côté du lien restauré entre le père et sa fille.

La grande particularité du scénario est en effet cette impuissance qui donne tout le sel du film. Confronté à une mafia surpuissante et à un modèle économique rouleau compresseur, faire léviter des objets ne permet pas de changer la face du monde. Là où un Kornél Mundruczó dans son très beau La lune de Jupiterqui mettait en scène un jeune migrant doté du pouvoir lévitation, invoquait la nécessité d’une certaine spiritualité voir carrément du mysticisme pour changer les choses, Yeon Sang-ho livre un film assez pessimiste en soulignant en creux l’inanité des super héros que l’on nous a pourtant vendus comme des sauveurs. Les forces qui dirigent le monde (attention pas de complotisme ici, il s’agit simplement de parler de mécanismes) ne plient pas par la pensée. À cet anti-héros sans cause, doté d’un pouvoir hors du commun et qui va d’abord tenter de monnayer son don avant de prendre parti, Yeon Sang-ho oppose sa fille, quelque part véritable super-héroïne du film et son militantisme. Aux coups de matraques et aux manipulations de la mafia, le réalisateur sud-coréen tient donc à mettre en avant la solidarité et la famille. Un cocktail salvateur qui ne permettra pourtant pas vraiment de gagner la bataille mais qui annonce quand même, au fond, un rassemblement des troupes pour une ultime percée que l’on imagine victorieuse.

Thomas