Paris, 1979. Anne (Vanessa Paradis), productrice de cinéma pornographique gay pleure sa séparation avec son amoureuse et également monteuse Loïs (Kate Moran). « Tiens-moi la main » la supplie-t-elle depuis une cabine téléphonique perdue dans la nuit. Au même moment, Karl, jeune acteur des films d’Anne, est assassiné dans d’atroces conditions : sous les coups fatals dans le rectum d’un sex-toy transformé en couteau. Le tueur porte un masque de cuir. A la fenêtre, un corbeau aux yeux blancs observe la scène. Ainsi commence Un couteau dans le cœur, le second long-métrage du talentueux Yann Gonzales qui avait déjà réjoui la critique en 2013 avec Les rencontres d’après minuit. De cette séquence d’ouverture est dit l’essentiel : qu’il soit reçu dans le cœur après une rupture ou dans le cul par un fou, le coup de couteau est fatal.

Mais Anne survit, et de son désespoir d’avoir perdu son amour et son acteur naît l’idée d’un ultime film : Fureur Anal (qui deviendra plus tard Le Tueur homo) inspiré du décès de Karl. Avec son fidèle assistant Archibald (le génial Nicolas Maury), la scène de crime devient un acte érotique, bercé des synthétiseurs de M83 et de lumières roses. Dehors, le tueur masqué continue de sévir et de décimer les comédiens performeurs. Anne mène son enquête au cours d’une séquence hors de la ville et du temps, guidée par Romane Bohringer, à travers une forêt enchantée.

Enveloppée dans un trench en vinyle, le cheveu décoloré et les paupières peintes en bleues, Vanessa Paradis signe avec le rôle d’Anne sa renaissance au cinéma. Affaiblie par le chagrin, elle crie et pleure de sa voix d’enfant qui contrebalance la beauté fragile de son corps vieillissant. Mais elle conserve la force de mener à bien la production de ses films, et de retrouver l’assassin de ses coqueluches. Dans l’univers onirique de Yann Gonzales, elle trouve sa place aux côtés de personnages étranges : La Bouche, « dépanneur » pour performeur sexuel en baisse de régime, Bertrand Mandico déguisé en caméraman ou le Mexicain Noé Hernandez, faux flic et vrai acteur porno. Tous ces seconds rôles forment une bande de « freaks », de forains, dont le physique atypique est magnifié par les vêtements minutieusement choisi par la costumière Pauline Jacquard. Sans se contenter de reconstituer académiquement la fin des années 70, la mini-jupe en cuir de Vanessa Paradis, le jogging rouge de Nicolas Maury et la chemise transparente de Kate Moran sont les détails qui participent activement à la perfection de l’image.

Bien que les décors erotico-inquiétants empruntés au giallo, appartiennent eux aussi à une époque précise, le film ne semble pas figé dans le passé. En faisant appel aux visages très contemporains de Félix Maritaud (120 battements par minute), et Simon Thiébaut (figure drag-queen emblématique de la nuit), et toute une tripotée de très jeunes hommes inconnus, Yann Gonzales convoque le présent.

Outre l’amour, la sexualité est très présente dans le film, mais jamais de manière frontale. Les scènes de tournage de cinéma porno gay sont plutôt des moments de comédie, où Nicolas Maury donne de toute sa mesure. Rien de choquant, rien de gênant, Un couteau dans le cœur est une œuvre qui célèbre l’univers LGBTQ+ sans faire barrière à celui des hétérosexuels à qui l’envie de fusionner aux décors n’est pas ôté. Un film excitant à tout point de vue !

S.D.