En Thessalonique, région grecque où 25% des entreprises ont mis la clé sous la porte depuis le début de la crise économique, les ouvriers de la succursale Viomé ont décidé de ne pas rejoindre la cohorte toujours grossissante des chômeurs. Contre les cow-boys de la finance qui tirent profit des crises pour éliminer leurs concurrents les plus faibles et décupler ainsi leurs bénéfices, contre les lois de leur pays pérennisant le règne tranquille de la propriété privée des moyens de production, et enfin contre leur ancienne patronne (comique malgré elle dans sa naïveté offensée), quelques apaches résistent. Inspirés par les expériences de leurs homologues argentins, une poignée d’ouvriers décide d’utiliser les locaux de l’usine qu'ils occupent pour fabriquer en autogestion des produits ménagers ''naturels'' et peu onéreux.

   Si, à la suite du visionnage de Food coop, on ne croisait pas régulièrement les produits Viomé en faisant son service et ses courses à La Louve (supermarché coopératif qui a vu le jour à Paris en suivant le modèle de son grand frère new-yorkais), on penserait tout au long de Prochain arrêt : utopia que leur audacieux projet va échouer. En effet, le documentariste Apostolos Karakasis ne cache rien des nombreux obstacles que nos autogestionnaires en herbe doivent surmonter, filmant au contraire longuement les assemblées générales les plus périlleuses - qui sont aussi les plus intéressantes politiquement. Entre menaces extérieures d’expulsion et menaces intérieures de dissolution, les résistants-locomotives de Viomé doivent fournir des trésors d’opiniâtreté et de foi pour ne jamais fléchir dans la bataille de longue haleine qu’ils doivent mener. Cet aspect ‘’western à l’issue improbable’’ est souligné par la musique rock dont la tension crée un effet de suspense.

   Témoignage supplémentaire sur une expérience laborieuse mais réussie d’autogestion, Prochain arrêt : utopia questionne subtilement la pertinence de la loi quand non seulement elle n’a pas pour idéal le droit au travail, mais le sabote carrément. S’inspirant des théories de Naomi Klein, venue apporter son soutien aux ouvriers dans un discours incisif prononcé dans la cour de leur usine (convertie pour l'occasion en salle de conférence à ciel ouvert), ce documentaire qui préfère voir le verre à moitié plein nous invite à penser la crise comme un catalyseur de possibles positifs, comme un moment où, confronté à son péril imminent, l’intelligence humaine est obligée de puiser dans ses ressources créatives pour espérer sortir du marasme par le haut.

F.L.