Abdelkader est vigile dans un centre commercial, son épouse Malika est femme de ménage. Ils s’aiment et sont heureux, mais sans le sou ils ne parviennent pas à quitter leur toit familial respectif et fonder un foyer. Pour avoir voulu faire respecter l’égalité en interdisant à une bourgeoise de doubler dans une file d’attente, Abdelkader est licencié. La peine est double car sa punition est filmée et la vidéo fait rapidement le tour de la ville. Humilié, il erre dans les rues de Meknès ; s’installe alors  un cache-cache désespéré avec Malika, qui se voit par ailleurs embauchée par l’entourage de la cliente fortunée à l’origine du désarroi de son époux.z                                                                          

Avec son pays d’origine comme toile de fond, le réalisateur Faouzi Bensaïdi (qu’on connaît aussi comme acteur de Saint Laurent, Lola Pater ou Dheepan) livre une critique acerbe de la société marocaine fondée sur une mentalité archaïque. Ainsi, les deux amoureux vivent en permanence dans la peur du jugement et du regard extérieur. L’érotisme en public n’existe que dans une scène où ils s’échangent langoureusement la paille d’un soda.

Volubilis se place également comme un film social, qui dénonce l’écart grandissant entre riches et pauvres. Tout commence dans le centre commercial, où l’escalator n’est mis en route que lors de la visite de clients fortunés, tandis que les plus miséreux doivent se contenter des escaliers ou du rez-de-chaussée. L’écart se prolonge tout au long du film, jusqu’à la très belle scène où Abdelkader observe depuis un arbre son ennemi dans sa splendide et rutilante maison éclairée de nuit. Depuis sa cachette, l’infortuné obtient soudain l’infime privilège de se plonger dans la vie qu’il n’aura jamais.

Même si Bensaïdi est moins sévère avec son vigile que Murnau le fût avec son portier, difficile de ne pas penser au Dernier des hommes dans ce portrait d’un homme meurtri qui s’attache passionnément à son uniforme aux boutons d’or, sur lequel repose toute sa crédibilité.

Volubilis tient son originalité dans l’aspect hybride de sa forme : on passe facilement du mélodrame classique à un cinéma beaucoup plus libre, parfois presque burlesque. Abdelkader, grand, fort, et maladroit, a des allures de pantin et parvient à faire esquisser un sourire. Le couple qu’il incarne avec Malika est un duo de résistants jamais pathétiques dans un contexte pourtant tragique.

Même s’il expose “les bons et les méchants” de façon parfois un peu caricaturale, Faouzi Bensaïdi affronte les travers de son pays (discrimination au travail, poids de la tradition, corruption policière…) par une histoire d’amour habile aux airs de tragédie grecque.