Écrire sur le cinéma n’est pas toujours facile, il faut trouver le mot juste ou la bonne accroche pour donner envie à ses lecteurs de découvrir un film qu'ils n'ont pas forcément vu. Chaque semaine, j’essaye de vous faire partager ma passion pour le septième art. Il m’arrive souvent de chercher mes mots, même pour des longs-métrages que j’aime fortement. D’autres fois comme pour Danger : Diabolik, mon amour de la série B et du cinéma italien des années 60 et 70 facilite le travail. J'espère que cet article vous donnera l’envie de regarder ce sommet de la carrière du réalisateur Mario Bava qu'est Danger : Diabolik, une oeuvre essentielle du cinéma populaire européen.

Mario Bava : le grand maitre du cinéma de genre italien

Mario est le fils d’Eugenio Bava, l’un des pères des effets spéciaux en Italie. Sculpteur reconnu, son paternel a œuvré sur de nombreux longs-métrages tels que Cabiria qui fut l’un des premiers péplums de l’histoire du cinéma. Eugenio a été l’un des premiers truqueurs du cinéma italien, capable de vous créer un décor pharaonique avec une simple peinture sur verre. Également chef opérateur, il délaissa ce travail pour s’enfermer dans son atelier afin de créer des effets optiques très novateurs pour leur époque. Mario Bava se destinait à être peintre après ses études aux beaux-arts. Mais élevé sur les plateaux de cinéma, il fut vite rattrapé par la passion du septième art. Après avoir été l’assistant de son père, il commença sa carrière en tant que directeur de photographie et travailla avec des cinéastes aussi prestigieux que Pabst, Roberto Rossellini ou Raoul Walsh.

Ses débuts de réalisateur, il les fera sur Les vampires de Riccardo Freda en en 1957 où il remplace le réalisateur démissionnaire, assurant la moitié des prises de vue du film. De la même manière, il signe quelques scènes d’action de La Bataille de Marathon de Jacques Tourneur sorti en 1959. Il faudra attendre le tout début des années 60 pour retrouver Mario Bava crédité en tant que réalisateur avec Le Masque du démon qui sera tout simplement l’un des premiers longs-métrages d’horreur du cinéma italien et qui influencera bon nombre de réalisateurs dont un certain Tim Burton pour Sleepy Hollow. Dès ce premier opus, le réalisateur signe un chef-d’œuvre tout en clair-obscur qui révélera l’une des plus grandes égéries du cinéma fantastique : Mme Barbara Steele.

Durant sa riche carrière, il abordera nombre de genres tels que la science-fiction pour La planète des vampires, ou le thriller avec La fille qui en savait trop. Bava est le père du giallo avec 6 femmes pour l’assassin en 1964 où il développe une mise en scène fétichiste entièrement au service de la peur. Comme bon nombre de réalisateurs italiens du cinéma populaire de l’époque, il multiplie les commandes de films avec une nette prédilection pour le fantastique et le giallo avec des titres comme Opération peurLa baie sanglanteLes trois visages de la peur ou Lisa et le diable.

Bava est un directeur de la photographie de génie, un homme capable avec quelques éclairages de vous construire une image digne des grands maîtres de la peinture que ce soit Caravage ou Georges de La Tour. Si Bava signe des films en noir et blanc de toute beauté, jouant beaucoup sur les effets de contraste, son passage à la couleur nous permettra de profiter de sa maîtrise extraordinaire des couleurs primaires. Il n’est pas un réalisateur réaliste, il cherche avant tout à construire des univers visuels ressemblant à nos pires cauchemards. Son cinéma est à la limite de l’expérimental, le ressenti du spectateur devant les images devenant en effet plus important que la narration. Ses films sont des expériences chromatiques qui ont pour vocation de créer une émotion. Bava était également un excellent truquiste qui connaissait toutes les possibilités offertes par les effets d’optique au cinéma. Digne héritier de Méliès, ses miniatures fonctionnent encore très bien à l’écran comme dans les scènes qui se passent dans le repaire de Diabolik. Cette obsession du visuel, sa technique hors-pair, le limita trop souvent à des films de commande. Ce cinéaste plasticien pensait que l’esthétique était un langage qui allait lui permettre de donner du relief, des intentions à des personnages bâclés par des scénaristes peu inspirés.

Bava a mal vécu le tournage de Danger Diabolik où son producteur Dino de Laurentiis était trop présent dans les décisions. L’homme avait une peur quasi monomaniaque de perdre le contrôle sur ses réalisations. Il dépensera seulement 20 % du budget alloué et réalisera le film à la manière de ses habituelles petites productions. Cette expérience montre que Bava était plus à l’aise dans une conception artisanale du cinéma avec des micros budgets qui lui permettaient d’expérimenter plus librement.

Danger Diabolik : La critique

Le film est inspiré d’une bande dessinée italienne créée par deux sœurs enseignantes. À l’instar du Barbarella de Jean-Claude Forest en France, Diabolik est un titre qui montre que le 9 ème art européen s’intéressait à présent aux adultes avec des titres où la violence et l’érotisme jouaient un grand rôle. Diabolik est l’un des Fumetti les plus connus en Italie. Ce nom désigne des BD italiennes vendues en kiosque de façon hebdomadaire qui se présentaient sous la forme de petits fascicules en noir et blanc proches des mangas d’aujourd’hui. Les aventures de Diabolik mettent en scène un super criminel qui serait un mixte entre Fantomas et James Bond. Les créatrices de la bande dessinée Angela et Luciana Giussani ont indiqué que leur héros n’était pas un justicier. C’est un personnage ambigu au code moral très personnel qui n’a pas plu aux ligues catholiques italiennes qui furent ulcérées par un titre aussi amoral. Il est à noter que les aventures de Diabolik sont devenues de moins en moins sanglantes au fur et à mesure que son succès grandissait. Ce héros connu par tous les Italiens est reconnaissable à sa combinaison en latex noir et sa voiture, une Jaguar qui lui permet d’échapper aux flics ou à la mafia.

Le célèbre producteur italien Dino De Laurentiis a très vite perçu le potentiel des adaptations de BD au cinéma. Il commande un Barbarella à Vadim en même temps qu’il supervise la production d'un Diabolik dont il a récupéré les droits alors même qu’un premier tournage avait été amorcé avec Jean Sorel et Elsa Martinelli dans les rôles principaux. Il pense évidemment à Bava pour mener la barque, l’homme étant un technicien émérite à la solide expérience. Danger Diabolik est une production relativement cossue comme le montre son casting où l’on peut retrouver Michel Piccoli, Terry-Thomas ou même Catherine Deneuve qui sera invitée à prendre ses bagages après une semaine de tournage. Son refus d’être déshabillée et son approche psychologisante de son rôle auraient fortement déplu à Bava.

À la musique on retrouve le maestro Morricone qui nous offre une partition haletante et enlevée qui donne beaucoup de charme au film. À l’instar des peintures de Roy Lichtenstein, Danger Diabolik a su parfaitement capter tout l’esprit du 9 ème art que ce soit dans sa conception graphique ou le rythme de son récit. L’espace du film est structuré par les décors qui permettent littéralement de diviser l’image « en plusieurs cases » avec des plans qui finissent par ressembler à une planche de bande dessinée. Même si Diabolik était une commande, Bava nous émerveille une fois encore en termes de photographie. Les acteurs se détachent littéralement des décors grâce à des aplats de couleurs qui rappellent évidemment la colorisation des BD de l’époque. Il emploie également des objectifs grand-angle, zoom et contre-plongées pour créer des images stylisées. Danger Diabolik est un long-métrage qui systématise les inserts et autres gros plans pour rendre le montage plus nerveux. Enfin, on a accusé le film d’avoir un scénario simpliste qui multiplie jusqu’à l’overdose les péripéties. Cette construction dramatique est consciente, elle nous donne littéralement l’impression de lire une bande dessinée de Tintin où Hergé nous faisait craindre pour la vie de son héros avant de lui sauver la vie sur la page suivante. Suivant le même principe, chaque scène de Diabolik fonctionne avec la séquence suivante qui va permettre à notre héros de fumetti d’avoir la vie sauve.

Danger Diabolik est un film libertaire qui associe l’autorité publique au « crime organisé ». C‘est également un long-métrage très sensuel grâce au couple formé par John Phillip Law et Marisa Mell dont Bava sous-entend que la libido est très active à travers de nombreux symboles sexuels comme cette pluie d’or à la fin du film. On se souvient également de leurs ébats dans les billets de banque qui montrent bien que Diabolik ne vole pas pour faire de la politique ou pour s’enrichir, mais juste pour plaire à l’être aimé. Le réalisateur italien n’aimait pas les acteurs et choisissait ses comédiens pour leur photogénie, les considérant comme des silhouettes d’une image qu’il souhaitait créer. La superbe Marisa Mell qui remplaça Deneuve, porte parfaitement ses tenues assez révélatrices. Elle est parfaite comme figure féminine fantasmatique. De la même manière, si John Phillip Law n’est pas un grand acteur, son physique sculptural, sa belle gueule ténébreuse à la Delon et sa manière de se mouvoir comme un félin correspondent parfaitement au héros de papier qu’est Diabolik. Bava va faire jouer les politiques par des acteurs qui en font des tonnes dans le registre comique afin de ridiculiser et stigmatiser l’État et ses représentants qui ne trouvent pas grâce à ses yeux. Même un acteur charismatique comme Michel Piccoli, semble assez fade par rapport à notre couple vedette qui a été conçu par Bava comme un objet de fantasme.

Danger Diabolik est un chef-d’œuvre que tout fan du cinéma de genre italien se doit d’avoir vu. Porté par une esthétique pop de toute beauté, ce concentré d’images psychédéliques est un film que l’on ne se lassera jamais de voir et revoir.  C’est l’une des plus belles tentatives de remédiation du 9 ème art au cinéma. Un classique tout simplement.

Mad Will