Premier film d’une cruauté saisissante, Les poings dans les poches, selon les propres dires de [[Personne:3992 Marco Bellocchio]], porte déjà en germe tout son cinéma, « celui de la cellule familiale, du foyer, dont on veut s'échapper, que l'on cherche à détruire, mais auquel on revient toujours. » Dès les premières scènes, le réalisateur filme les rapports de force présents dans la famille hyper-hiérarchisée qu’il met en scène. En l’absence de père, le frère aîné joue le rôle de patriarche. Il donne les ordres, prend les décisions et va même jusqu’à convoquer les différents membres de la famille dans son bureau pour des entretiens particuliers de recadrage. Les femmes et le benjamin se laissent dominer. En revanche, le frère cadet, instable, épileptique, entretient vis-à-vis de son aîné des rapports ambivalents : il prétend vouloir l’aider en lui permettant d’être libre, mais veut manifestement surtout prendre sa place. Subissant violemment le dégoût des origines qui fait se sentir indigne d’être soi, il reproduit la violence qu’il subit sur plus faible que lui : il abuse de méchanceté gratuite avec son benjamin, déficient mental, ou avec un enfant qu’il chaperonne dans ses études. Cela ne suffit pourtant pas à soulager sa frustration. Il est alors entraîné dans la spirale infernale d’une destruction qui, touchant les liens du sang, est aussi paradoxalement en partie auto-destruction.

Implacablement, [[Personne:3992 Marco Bellocchio]] dissèque la famille, montre toutes les pulsions négatives qu’elle fait fermenter en son sein et qui entraînent son inexorable décomposition. La noirceur de son regard est renforcée par son ironie morbide. Après avoir moult fois filmé la froideur de la mère, dont le seul intérêt connu est la rubrique nécrologique, incapable de répondre autre chose à son fils qui vient pleurer dans ses bras qu’un détaché : « Tu veux un bonbon ? », il fait dire au prêtre qui officie pour son enterrement un très convenu : « La mère est la plus aimante », taclant ainsi subtilement l’hypocrisie de la bourgeoisie catholique. De même, lorsque les deux jeunes sont momentanément ivres d’être débarrassés de père et mère et qu’ils jettent toutes les traces du passé par la fenêtre, l’aîné les empêche de brûler les journaux « Pro Famiglia » qu’il pense revendre à bon prix ! Le réalisateur touche au tragique lorsqu’il montre qu’aucune libération n’est possible. Les différents personnages semblent tous être des pantins qui voient le pire arriver et l’attendent pourtant sagement. Au lieu de tuer le père symboliquement comme il le faudrait idéalement en se débarrassant des attitudes virilistes, le cadet opère juste une translation de la domination. Une fois qu’il a évincé son rival, au lieu d’agir selon une éthique alternative, il tente de se conformer au jeu social (fréquenter les prostituées, danser au bal…) comme celui-ci le faisait et interdit à son subalterne de faire la même chose, comme son supérieur l’avait fait avec lui jadis, simplement pour conserver le petit pouvoir qu’il a obtenu. En donnant à voir ce mécanisme, [[Personne:3992 Marco Bellocchio]] nous livre une première réflexion détonante sur l’origine et le devenir de la violence.

F.L.