Dans la période d’après-guerre au Japon, le cinéma reprend petit à petit de l’activité avant d’atteindre son apogée dans les années 1950. C’est l’âge d’or du cinéma japonais, où des sociétés de production comme la Shōchiku ou la Shintōhō produisent parfois plus d’une centaine de films par an, dont un bon nombre de Shomingeki, ces films familiaux qui s’intéressent au quotidien de la classe-moyenne. Mikio Naruse, réalisateur majeur du genre, tourne en 1952 La Mère, film qui sera longtemps le seul film du cinéaste connu par le public français.

Naruse est de la même génération qu’Ozu. Tous deux ont traversé les décennies, ont connu les années 30 et 40, puis la guerre et la période d’après-guerre avec sa prospérité économique et la reconnaissance internationale du cinéma japonais. Avec La Mère, Naruse fait le récit du quotidien d’une famille d’un quartier populaire près de Tokyo, qui possède une blanchisserie détruite pendant la guerre mais désormais reconstruite et prête à rouvrir. La chronique familiale est racontée en voix-off par la fille aînée, Toshiko, interprétée par Kyōko Kagawa.

Les temps sont difficiles et marqués par la fin des petits commerces et le début des supermarchés, qui fleurissent un peu partout dans la capitale et ses alentours. Naruse s’intéresse à ce basculement et à la façon dont il vient modifier la vie des petits commerçants qui voient leur affaire péricliter. La famille de Toshiko rencontre d’importantes difficultés financières depuis la fin de la guerre et peine à subvenir à ses besoins avec la blanchisserie. Mais grâce au dévouement de la mère, à son immense bienveillance et sa douceur infinie, la famille parvient tant bien que mal à survivre.

L’aspect économique se mêle à la dimension familiale. Si le style de mise en scène de Naruse est moins affirmé que celui d’Ozu, il n’en est pas moins significatif. Les scènes dans la blanchisserie sont très sobres, l’espace est précis en matière de décors. La boutique laisse place au lieu où la famille se réunit et vit, environnement restreint et intime, délimité précisément dans le cadre par les portes coulissantes de la maison traditionnelle japonaise. Le cinéaste joue ainsi sur la profondeur de champ, et présente plusieurs espaces dans un seul et même cadre : la rue, la boutique et les pièces familiales.  

Depuis les scènes de repas aux scènes du coucher, en passant par la veillée auprès du fils gravement malade, puis du père, il se dégage de cette représentation du quotidien de la famille japonaise un caractère à la fois authentique, naturel et léger. Naruse refuse le pathétique alors qu’il traite de sujets graves, comme la mort d’un être cher, la vieillesse, la dissolution de la famille et la faillite économique. Ces évènements tragiques sont traités de manière subtile et juste, tout comme les situations joyeuses et comiques, pour offrir un portrait discret et émouvant de la famille.

Avec La Mère, Naruse mêle ainsi l’argument sociétal avec l’argument familial, dans un récit où les femmes, fortes et courageuses, sont présentées comme pilier de la société mais aussi repère d’une identité familiale et culturelle. Un film subtil et émouvant, grave et léger, qui fait autant rire que pleurer.

Camille Villemin