Dans Deux sous d’espoir Renato Castellani réussi à faire une synthèse improbable entre les deux piliers de l’âge d’or du cinéma italien que sont le courant néoréaliste et la comédie. Cette audace lui a valu à l’époque, en 1952, une palme d’or. 70 ans plus tard ce film a à peine vieilli et se laisse regarder avec beaucoup de plaisir. Nous admirons la persévérance du personnage d’Antonio incarné par Vincenzo Musolino, qui souhaite subvenir aux besoins de sa famille composée de sa mère et de ses sœurs. Et nous découvrons l’obstination de Carmela qui l’a choisi comme futur mari, tout en riant des péripéties dues à ces amours contrariés.

Le film est d’abord une critique sociale sévère. Il est tourné avec quelques comédiens professionnels mais essentiellement avec des habitants jouant leur propre rôle, comme le veut l’habitude néoréaliste, ceux du village de Boscotrecass, qui deviendra Cusano dans le long métrage.  Il met en scène une famille pauvre qui vit dans un petit village près de Naples. Le travail est rare, les chômeurs nombreux, et les patrons radins et exigeants. C’est dans ce cadre que Carmela, la fille de l’artificier du village tombe amoureuse d’Antonio et le poursuivra de ses assiduités. Antonio ne serait pas contre une telle union, mais le père de Carmela s’y oppose farouchement. Il ne veut pas embaucher Antonio, ce qui serait pourtant pour tous la meilleure des solutions. Le jeune homme se voit donc obligé d’accepter n’importe quel travail, voire d’en inventer de nouveaux pour rapporter quelques sous à sa mère.

Renato Castellani décrit les ressorts de la misère qui colle à la peau, disette financière d’abord, mais aussi relationnelle, les amoureux ne pouvant, au-delà même du couple Antonio/Carmela, s’unir sans l’assentiment des ainés. À ce titre, les sœurs d’Antonio ne sont pas mieux servies. « Le mariage est un luxe interdit aux pauvres gens ». Et partout le patriarcat est la règle. Renato Castellani nous décrit ici une société enfermée dans le carcan de traditions asphyxiantes, réduite à survivre dans le plus grand dénuement et dans laquelle les adultes ne savent pas reconnaître les sentiments de leurs enfants.

Mais le film est aussi une comédie. Il est drôle car mu par l’énergie que le couple dépense sans compter dans le but d’améliorer sa condition. Renato Castellani pousse au plus haut les situations, exagérant la cupidité des uns, la fainéantise des autres. Tout trait de caractère est porté à son paroxysme, la bigoterie et l’hypocrisie aussi. Renato Castellani ne veut pas nous offrir des scènes misérabilistes mais bien poser les termes d’une vision politique de la société.

« Il faudrait changer le chef d’orchestre, pas les musiciens », annonce Antonio dès le début du film. Même si l’on se débat, la pauvreté est systémique et la bureaucratie pesante, ainsi qu’a pu le constater Antonio quand il a voulu trouver un travail à la ville. Moins analytique que ses contemporains grands maitres du néoréalisme, Visconti et consorts, Renato Castellani n’en est pas moins incisif quand par exemple il indique à plusieurs reprises que l’être humain est considéré comme un animal. Antonio fait le travail d’un cheval quand il aide les calèches à monter une côte et Carmela, après une fugue, est attachée dans sa chambre comme un chien dans sa niche au bout de sa laisse. D’ailleurs, quand sa mère vient lui parler, elle se met à aboyer.

« Nous aussi on a le droit de vivre » clame Antonio. Ce cri résume au mieux les intentions de ce chef d’œuvre à redécouvrir en version restaurée.

Laurent Schérer