Dans son nouveau film La ferme des Bertrand, le réalisateur Gilles Perret (La sociale) opère un retour aux sources en posant sa caméra chez ses voisins, où il avait déjà tourné en 1997 Trois frères pour une vie. Ce nouveau documentaire sur cette famille d’éleveurs de Haute-Savoie permet de suivre et comprendre les aspirations, motivations, et actions de ses membres sur un temps long, explorant leurs états d’âmes. Cette plongée au sein de trois générations permet au spectateur de se rendre compte des conséquences des choix faits par les plus anciens, et surtout met en évidence la bienveillance de chacun des membres de cette famille, autant pour leur entourage intra familial, que pour les animaux et la nature. Car c’est bien cette émouvante empathie partagée qui ressort des séquences : encouragements, respect des choix des uns et des autres, recherches communes de solutions, semblent le quotidien de ces éleveurs.

L’année du tournage du premier documentaire Trois frères pour une vie, correspond au moment où les frères, Joseph, André et Jean, transmettent à Patrick, leur neveu, et sa femme Hélène, les rênes de l’exploitation. Dans La ferme des Bertrand il s’agit de nouveau d’une histoire de transmission puisque qu’Hélène va prendre sa retraite, son mari étant décédé. Leur fils Marc reprendra la suite avec son beau-frère Alex. Sur la ferme, des trois anciens, il ne reste plus en 2022 qu’André, qui, s’il a pris sa retraite, élève toujours ses poules. Mais le dernier documentaire se penche encore plus en amont sur l’histoire de la ferme et de la famille, le réalisateur étant allé rechercher des images d’archives de 1972, lorsque les trois frères étaient de solides gaillards rempli et d’énergie et d’enthousiasme.

Il est touchant de voir sur ces cinquante années comment se transmet chez les Bertrand le patrimoine agricole, et que pour eux la mécanisation - on voit ici l’installation des robots de traite pour les vaches - n’empêche pas la préservation de la nature. Leur réflexion va au-delà de la rentabilité immédiate. On oppose souvent les fermes industrielles qui sont des catastrophes écologiques provoquées par la recherche d’une rentabilité maximale, aux fermes alternatives. Mais il existe aussi des agriculteurs qui savent respecter la nature et adoptent néanmoins des techniques modernes sur leur exploitation. Cela permet d’une part de soulager la pénibilité du travail manuel, ici la traite, et d’autre part de garder la possibilité d’exploiter décemment la ferme, car celle-ci ne génère plus en 2022, pour une même surface et un même nombre de bêtes, que deux revenus au lieu de trois. Cette volonté de concilier les deux exigences se traduit par exemple dans une très belle séquence où l’on finit de faucher à la main ce que le tracteur n’avait pu atteindre autour des arbres, parce que c’est plus joli ainsi. Une journée de perdue pour la rentabilité, mais une de gagnée pour la beauté du paysage. Et après tout, c’est ce qui attire les touristes, dont la région a aussi besoin. Le bilan économique n’est pas forcément celui auquel on pense dans l’immédiateté.

Nous ne pouvons terminer cette critique sans dire un mot sur le travail remarquable du montage qui permet au spectateur de naviguer dans les différentes époques d’une façon très fluide et contribue largement au plaisir que l’on ressent à visionner ce film.

La ferme des Bertrand se révèle être un film sensible et passionnant au cœur des problématiques agricoles d’aujourd’hui.

Laurent Schérer