Le réalisateur polonais Maciek Hamela, à la nouvelle de l’attaque de l’Ukraine par la Russie, décide de porter secours aux Ukrainiens, dans la mesure de ses moyens, en aidant ceux qui cherchent à se mettre à l’abri des bombardements et des combats. Il propose donc aux habitants qui lui en font la demande, de les véhiculer avec son van de huit places vers une autre région plus sure d’Ukraine, voire jusqu’en Pologne. Il place alors son chef opérateur sur le siège avant du véhicule, la caméra tournée vers l’arrière, afin de filmer, avec leur autorisation bien sûr, les passagers qu’il transporte.

Il en résulte un documentaire sous forme de huis clos, mis à part quelques images dans lesquelles la caméra se tourne vers l’extérieur, nous présentant des villes dévastées par les bombardements, des routes défoncées ou des ponts détruits, ainsi que de nombreux check-points. Mais l’essentiel se situe bien à l’intérieur. À la façon d’un Jafar Panahi dans Taxi Téhéran, Maciek Hamela nous invite à partager le ressenti de ses passagers. Nous percevons alors le désarroi de ces personnes brutalement mis au cœur d’une guerre qu’ils ne comprennent pas, devant tout abandonner pour sauver leurs vies.

Tout n’est cependant pas que sang et larmes. Certains gardent en effet l’espoir d’une résolution rapide du conflit, bien que l’on sache à présent que cette guerre s’inscrit dans la durée, ou pensent pouvoir refaire leur vie auprès de membres de leur famille ou d’amis prêts à les accueillir.

Le réalisateur sait aussi par un habile montage donner une respiration aux propos, mêlant le dramatique et le trivial. D’ailleurs, ce sont les réfugiés eux-mêmes qui le plus souvent passent d’un sujet à l’autre, livrant aussi bien leur quotidien d’avant la guerre que faisant état de leur situation actuelle. Et la captation des remarques des plus jeunes parvient souvent à égayer une situation tragique. D’autre part, certains voient dans ce déracinement forcé l’opportunité de s’exiler en Europe dans des lieux plus propices à une paix durable.

Pendant plus de 100 000 kilomètres, Maciek Hamela a ainsi transporté d’innombrables personnes parmi les 15 millions de déplacés ukrainiens, et son film est un témoignage essentiel sur un conflit dont on ne voit malheureusement pas encore la fin, et qui laissera de très nombreuses traces pendant encore des générations. De plus, il porte la preuve que le mot de solidarité peut encore être utilisé dans une Europe qui devient d’extrême-droite, les peuples se repliant sur eux-mêmes. Et si la Pologne devenait la tête de pont d’une nouvelle fraternité entre les peuples ? Situation des plus étonnantes dans ce cas, lorsqu’on se rappelle l’histoire des conflits entre l’Ukraine et la Pologne.

À un moment où la guerre en Palestine prend la place dans les actualités à celle qui sévit en Ukraine, il est capital de ne pas l’oublier. Ce film en est un moyen.

Laurent Schérer