Le documentaire de François Caillat Édouard Louis, ou la transformation n’apporte peut-être pas réellement de nouveauté pour ceux qui sont familiers de l’œuvre d’Édouard Louis. Par contre, entendre les mots de la bouche de l’écrivain donne à ceux-ci une force supplémentaire par rapport à ceux couchés sur le papier. Et bien évidement, pour tous ceux qui ne connaissent pas l’homme et son œuvre, ce film est essentiel et passionnant.

Dans ce long-métrage, François Caillat interview Édouard Louis né Eddy Bellegueule en le laissant s'exprimer en totale liberté. Né dans une famille du sous prolétariat picard, le jeune Eddy est devenu, depuis la parution de son premier roman Pour en finir avec Eddy Bellegueule, un écrivain reconnu. Le film traite de cette transformation, doublée par celle qui le touche encore plus intimement, celle de son corps, la conscience de son homosexualité lui faisant rejeter les critères de masculinité de son entourage familial et social.

Mais paradoxalement, la réussite d’Édouard Louis est d’abord l’échec d’Eddy Bellegueule. C’est parce qu’il n’a pas réussi à suivre la route qui lui était dévolue qu’Eddy s’est mué en Édouard. L’écrivain développe alors dans le film la question de l'authenticité qui est au cœur de sa démarche. Son propos est complètement à l'opposé du discours identitaire sur le « préserver ses racines ». Il met en valeur au contraire la faculté qu’aurait chacun de changer pour retrouver une véritable authenticité, celle que l’on choisit plutôt que celle imposée par la naissance. En cela, le discours de l’écrivain transfuge est éminemment politique, et faire état de sa propre transformation est pour Édouard Louis l’occasion de donner à d'autres l’envie et la possibilité de changer aussi.

Le film est tourné à Amiens, ville où Eddy a vécu quatre années essentielles de sa vie, marquées par sa transformation. Il a en effet été admis après le collège comme interne au lycée Madeleine Michelis, dans une section théâtre. Alors qu'il considérait à l’époque cette admission comme un aboutissement, il a réalisé a posteriori que cette arrivée au lycée était en réalité un nouveau départ. En effet, le théâtre lui ouvrait des possibilités jusqu’alors insoupçonnées puisqu'il pouvait par le truchement de cet art changer d'identité en se créant un nouveau personnage. Il a pris conscience qu’il n’y avait pas d’obstacle à ce qu’il apprenne les codes sociaux du personnage qu’il s’était choisi, abandonnant ainsi ceux du monde d’où il venait et qui l’avait rejeté. Le petit Eddy Bellegueule s’était arrêté à Amiens et c'est, du moins dans son esprit, l’écrivain Édouard Louis qui en est reparti.

Illustré de captations de pièces de théâtre adaptées de ses romans, ce film, tout en analysant les notions d'authenticité dans l'art et dans la vie en général, nous offre un portrait passionnant de cet homme dont le parcours s'avère pour le moins étonnant.

Un long-métrage qui, dès la fin de la première vision, suscite le désir immédiat de le revoir pour en apprécier la richesse, tout en donnant envie, pour la même raison, de lire l'œuvre romanesque d’Édouard Louis.

Laurent Schérer