On ne l’avait plus revu depuis un petit moment. Depuis Microbe et Gasoil, en 2015. Il avait bien donné quelques nouvelles (un court-métrage filmé à l’iPhone, Détour, en 2017, et sa série Kidding avec Jim Carrey), tourné quelques clips, quelques pubs par-ci par-là. Mais bizarrement c’est comme si on ne devait plus vraiment compter sur la présence de Michel Gondry pour mettre un peu de fantaisie dans la grande salade naturaliste du cinéma français. À croire qu’à force d’en effrayer certains avec ses belles idées folles, on avait fini par le mettre au rancart.

C’est donc avec un plaisir d’autant plus grand qu’on le retrouve pour Le Livre des Solutions, qui tient aussi bien de l’auto-fiction utopiste que de l’autoportrait burlesque. Soit l’histoire d’un jeune réalisateur plus ou moins prodige qui, parce que les rushes de son prochain film n’emballent guère ses producteurs, se voit contraint d’embarquer le bébé hors de Paris pour aller finir le montage clandestinement, chez sa tante dans les Cévennes. Le réalisateur c’est Marc (Pierre Niney), grand gamin dépressif et adepte d’un Do It Yourself ultra-inventif qui, alors qu’il se lance dans son projet fou, a la bonne idée d’arrêter brusquement son traitement médical, en jetant ses cachets dans les toilettes. À ses côtés, sa monteuse Charlotte (Blanche Gardin, un peu à contre-emploi en collaboratrice conciliante) et son assistante Sylvia (Frankie Wallach, au bout du rouleau). Et puis bien sûr il y a Denise, la tante de Marc, interprétée par la grande Françoise Lebrun — double fictionnel de la tante Suzette de Gondry (qu’il avait filmée dans L’Épine dans le Cœur, et à qui son nouveau film est dédié).

Incapable de canaliser son énergie créatrice, et sans l’appui de ses médicaments, le cerveau chaotique de Marc fonctionne à toute berzingue. La moindre promenade dans les bois devient l’occasion d’une énième découverte, d’une nouvelle invention, qui ont de moins en moins à voir avec le film qu’il est censé terminer, et dont il a bien du mal à superviser l’avancement, au grand dam de sa monteuse. Quand celle-ci lui demande de jeter un œil à son travail, Marc rechigne, se trouve des excuses et joue l’évitement : tout plutôt que de regarder son propre film en face ! C’est que le réalisateur a un autre projet en tête : la rédaction d’un livre qui contiendrait la solution à tous les problèmes — le bien nommé « livre des solutions ».

On le perçoit tout de suite : il y a quelque chose de désespéré dans la façon qu’à Marc de se jeter dans le travail, sautant sur la moindre idée qui lui traverse l’esprit, aussi déraisonnable soit-elle. Si Le Livre des Solutions ne semble pas réinventer le cinéma de Michel Gondry, s’il témoigne toujours des mêmes préoccupations, du même goût pour la bricole et les idées farfelues, ça ne l’empêche pas d’être honnête quant aux angoisses qui motivent secrètement tout geste de création. Ces angoisses-là, ce sont bien sûr celles de Gondry lui-même, qui livre ici ses propres confessions, teintées d’une bonne dose d’autodérision : son autoportrait de l’artiste en enfant gâté, aussi puéril et tyrannique (« un peu trou du cul », comme dira un personnage) qu’il est attachant. Oui, Marc est une insupportable tête-à-claque. Il est tout de même traversé par quelques éclairs de génie. Certes, cela n’excuse rien, mais il faut le voir présenter son très borisvianesque « camiontage » à sa monteuse fatiguée, ou bien user de toute une panoplie de gestes exubérants pour diriger un orchestre avec son corps. Malgré ses tourments — et peut-être à cause d’eux justement — Marc a comme ça un don pour faire émerger de la moindre situation une poésie qui l’illumine et la transcende. Au fond, c’est peut-être simplement ça, le « livre des solutions » : un guide pour apprendre à surmonter la vie ?

La petite « recette » Gondry a beau nous être familière, son nouveau film n’en apporte pas moins un bon courant d’air frais. On se sent léger en sortant de la salle. Ce qui est suffisamment rare pour être apprécié. Contre un cinéma trop souvent gangréné par les professionnels de la profession, le réalisateur signe une véritable ode à l’amateurisme — faisant de l’hyperactivité créatrice le meilleur remède à la dépression.

Clément Massieu