Catherine Corsini décrivait dans La fracture un service d’urgence sous tension. Dans Sages-Femmes Léa Fehner s’attache à décrire les conditions de travail et d’accueil dans une maternité.

En 98 minutes et grâce au parcours de deux jeunes sages-femmes, elle réussit par le biais d’une écriture de grande qualité et un montage époustouflant de vérité à dresser un état des lieux quasi complet, sans que cela ne paraisse être un simple catalogue, des difficultés qui résultent d’une politique de rentabilité toujours en cours.

Au plus près des visages et des corps en action, des soignants comme des patientes, la réalisatrice, qui a tourné de réelles images d’accouchement, nous plonge dans le quotidien des services où l’on partage souvent la joie d’une naissance, mais aussi parfois la douleur et la mort.

Point commun de ces journées et de ces nuits : le stress quasi permanent d’une équipe pressurisée. Turnover de plus en plus rapide, défaut de maintenance du matériel, maltraitance du personnel et des patients :

« Avant, d’avoir quatre parturientes par sage-femme était exceptionnel, maintenant c’est la norme. Quand cette norme sera-t-elle de perdre un bébé ? », s’interroge un des membres de l’équipe, tandis que la tension en son sein monte en raison du stress, provoquant burn out, arrêts maladie en quantité, et démissions des plus anciennes (traduisez, celles de plus de trente ans).

Heureusement pour les spectateurs, Léa Fehner laisse aussi la place à des moments d’émerveillement devant les naissances, d’humanité et de drôlerie. Les moments de stress, d’urgence, de drames sont assez nombreux pour ne pas à avoir à noircir un tableau déjà très sombre.

Sofia et Louise sont deux jeunes sages-femmes tout juste diplômées. L’une s’adapte très vite et se fait remarquer par son efficacité. L’autre au contraire ne trouve pas d’emblée sa place dans un monde où personne ne peut prendre le temps de l’encadrer. On la sent mal à l’aise, car plus désireuse de relations humaines que de gestes techniques qu’on lui demande d’exécuter vite. La réalisatrice rend palpable les émotions des personnages en apprentissage : maladresses liées à l’inexpérience, angoisse de ne pas réussir à bien faire, désarroi devant des situations ubuesques... Mais ces deux-là évolueront au cours du film, ne suivant pas forcément l’idée que l’on pouvait se faire d’elles au premier abord. C'est l'une des grandes forces du scénario : montrer qu’une évolution personnelle est possible, que l’on n' est pas condamné à un rôle figé. À chaque instant, son destin et celui de ceux à qui on donne la vie repose entre vos mains. Mais cette responsabilité, cette pression, toutes doivent l’assumer... ou quitter.

Cela passe ou cela casse. Pour l’instant cela passe, pour l’instant tout va bien… Mais on comprend aisément que le moment de la rupture est proche.

Laurent Schérer