Cela fait longtemps qu’on considère Hong Sangsoo comme un maître de l’épure. Que dire alors de De nos jours…, où le cinéaste n’a jamais atteint un tel dépouillement zen — au risque de laisser à son spectateur un goût de vacuité plus prononcé que jamais ?

Œuvrant maintenant à tous les postes ou quasiment (de l’écriture à la mise en scène, en passant par l’image, les décors et le son), le coréen qui filme plus vite que son ombre semble avoir enfin trouvé cette légèreté idéale quil a toujours cherchée. D’une tonalité plus humoristique que ses derniers films, De nos jours… paraît d’une nonchalance presque insouciante, tant il semble dénué du moindre enjeu. Il y aurait presque quelque chose de frivole dans cette façon malicieuse qu’a le film d’éluder toute problématique existentielle — à l’image du vieux poète Hong, qui se voit poser par un admirateur béat des questions aussi absurdes que : « Qu’est-ce que vivre ? Qu’est-ce que l’amour ? Qu’est-ce que la vérité ? » À ces interrogations lourdingues, le cinéaste oppose son regard ultra-attentif aux détails du quotidien : jusqu’aux plus petits événements qui constituent nos vies, qu’il s’agisse d’une conversation, d’un repas bien arrosé, ou d’une cigarette interdite savourée enfin seul, dans la plénitude d’un début de soirée.

Quel lien entre l’ancienne actrice Sangwon et le vieux poète Hong ? A priori aucun, et d’ailleurs leurs deux récits, montés alternativement, ne se rejoindront jamais. Ne restent que des échos, des rapprochements plus ou moins directs, laissant entendre que ces deux-là partagent plus qu’une même sensibilité — qu’ils se connaissent peut-être bien. Prônant tous deux une forme de détachement vis-à-vis de la vie matérielle, ils n’en luttent pas moins, chacun à leur manière, avec leurs propres contradictions. « Garder sa clairvoyance est sûrement la chose la plus difficile au monde », affirme laconiquement Hong, sur le point de replonger dans ses vices les plus chers. À son interlocuteur en quête d’un sens à sa vie, le vieil homme rétorque sans ambage que toute recherche de sens n’est qu’un aveu de lâcheté. Difficile de ne pas voir chez le poète un alter-ego du réalisateur, les deux hommes partageant plus qu’un même patronyme.

Par cet autoportrait en artiste vieillissant, ayant accepté sereinement ses propres imperfections comme celle de l’existence, Hong Sangsoo produit des échos entre réel et fiction, tout en tissant discrètement les liens d’une filiation amoureuse — liens d’esprit, si ce n’est plus, où des habitudes et des plaisirs partagés (longues siestes, nouilles très épicées) deviennent vite révélateurs d’un même regard sur les choses. En filigrane, c’est peut-être bien le portrait d’un couple qui se dessine, à travers ce double-récit d’un vieux poète et d’une actrice en reconversion, quant à elle interprétée par la muse et compagne du cinéaste, Kim Minhee.

« Gauches, immatures et incomplets », tels sont les personnages des films de Hong Sangsoo. La seule clairvoyance possible est de le savoir, et de faire avec, sans chercher à plaquer sur le monde une quelconque signification qui en trahirait la nature impermanente. Avec De nos jours…, énième variation autour des fils invisibles qui relient nos vies, le maître coréen nous invite encore et toujours à nous débarrasser des « couches » inutiles, pour atteindre enfin un peu de sincérité et un peu de quiétude.

Clément Massieu