C’est, nous a-t-on dit, en grande forme que nous devions retrouver Nanni Moretti dans son nouveau film. Et c’est vrai que sur le papier le cinéaste italien semblait revenir, après une longue incursion dans le drame, à la tonalité enlevée de ses premières comédies. On peut en effet considérer le Giovanni de Vers un avenir radieux comme une nouvelle déclinaison de l’alter-ego filmique de Moretti, du Michele de Je suis un autarcique au Nanni d’Aprile. Sauf que, depuis, le cinéaste a vieilli, et que le sentiment du temps passé n’a jamais été aussi palpable, ni aussi grand le gouffre qui sépare l’idéal de la réalité.

En pleine préparation de son prochain film, Giovanni doit donc faire face à de nouvelles crises, entre sa femme, et jusqu’ici fidèle productrice, qui s’apprête à le quitter, sa fille dont le nouveau petit ami n’est pas exactement à son goût, son actrice principale qui fait de la résistance, et son nouveau producteur français un peu trop enthousiaste pour être honnête… Le désir de raconter une page méconnue de l’histoire du Parti communiste italien dit déjà suffisamment combien Giovanni est en complet décalage avec les obsessions contemporaines. « Vous saviez, vous, qu’il y avait eu des communistes en Italie ? » demande un jeune collaborateur en pleine réunion de pré-tournage, devant son réalisateur atterré. La solitude du moraliste Giovanni résonne ainsi pleinement avec celle la Gauche italienne, depuis l’avènement de Berlusconi jusqu’au triomphe de la Ligue du Nord.

Vers un avenir radieux est un film sur des visions du monde qui s’affrontent. Metteur en scène pointilleux, pétri d’angoisses, et d’une intégrité trop rigide pour être heureux, Giovanni tyrannise son entourage, articulant exagérément ses moindres paroles comme un vieux prof n’aimant rien plus que d’asséner ses leçons. Le pessimisme qui le torture ira jusqu’à déteindre sur son propre film, qu’un autre personnage décrira comme « un film sur la mort de tout ». S’il peut être vu comme une nouvelle variation de l’anti-héros morettien, Giovanni en est surtout la version contemporaine, aux prises avec une époque qui le révulse plus que jamais, politiquement et éthiquement, le poussant toujours plus loin dans ses propres névroses, et donc, dans son isolement.

Heureusement, Nanni Moretti n’est pas avare en autodérision. En incarnant un homme que son intransigeance empêche de vivre, le cinéaste tente de faire le lien entre le burlesque des premiers films et la gravité des deux derniers. Vers un avenir radieux nous réserve ainsi quelques scènes proprement jubilatoires qui résonnent comme autant d’appels à la joie, autant de tentatives pour panser les blessures des idéaux déçus. Aujourdhui comme hier, la danse, le cinéma et la musique demeurent les remèdes privilégiés contre la pesanteur et lesprit de sérieux. Le combat de Moretti/Giovanni contre ses pires penchants fait directement écho à celui de cette fraction du PCI dont il veut raconter l’histoire, et ses tentatives manquées pour se désolidariser de l’URSS, dont elle désapprouve les agissements : dans les deux cas, il s’agit d’aller contre soi-même, ses propres travers, au nom de la justice et de l’espoir, au nom de la morale et de la vie. Il y a donc quelque chose d’extrêmement émouvant à voir Moretti vieillissant s’exciter sur du Aretha Franklin et tourner en rond en trottinette électrique, comme jadis il se dandinait sur la voix de Silvana Mangano ou traversait Rome sur sa Vespa. S’il ne parvient pas complètement à retrouver l’esprit foutraque de Sogni d’Oro et Aprile, si ses envolées comiques semblent aujourd’hui un peu plus empruntées que par le passé, c’est aussi ce qui rend son film si émouvant, et finalement, si juste.

Comment rester intègre sans pour autant devenir un vieux con ? C’est la question que pose Vers un avenir radieux, véritable hymne à la légèreté de la part de celui qui, malgré la lassitude et la déception, n’a toujours pas abandonné l’idée de faire du combat politique un grand cirque joyeux, investissant les rues pour les repeindre de couleurs plus belles. Celui qui, à bientôt soixante-dix ans, n’a toujours pas renoncé à apprendre à vivre…

Clément Massieu