Au moment d’écrire ces lignes, je me demande ce qui pourrait inciter un spectateur à aller voir au cinéma le film documentaire How to save a dead friend. En effet le portrait de la jeunesse russe dépeint dans ce film par Marusya Syroechkovskaya ne donne vraiment pas envie d’en être. Décidée à se suicider dans l’année qui suit l’anniversaire de ses 16 ans, la jeune Marusya rencontre un garçon, Kimi, au cours d’un concert. Cette rencontre la détourne finalement de son projet primitif. Elle s’empare alors d’une caméra et filme pendant plus de 10 ans leur relation, jusqu’à la mort du jeune homme. On ne vous révèle rien, la première séquence étant justement celle de l’enterrement de Kimi.

Ce qui m’incite à écrire cette critique c’est l’immense tendresse que porte sur Kimi la réalisatrice. Bien que certains plans ne soient pas toujours parfaitement réussis d'un point de vue cinématographique, Marusya, grâce à son regard, nous offre des images empreintes d'une grande intensité émotionnelle. D’autres plans sont alors transfigurés et deviennent d'une beauté saisissante. Marusya capte tout ce qu’elle peut, les images faisant en quelque sorte office de respiration, d’une bouée de secours au milieu du naufrage, mais, si cela vaut pour la cinéaste, cela ne sera pas suffisant pour son ami. De même la musique, qui aurait pu être un instrument salvateur, Marusya faisant partie d’un groupe, n’est pas non plus suffisante pour apaiser les âmes.

Quant au film, tout est dans le titre. On ne sauve pas quelqu’un de la mort s’il ne le souhaite pas.  Kimi a détourné Marusya de son projet, sans doute parce que sur le moment elle ne trouvait pas mieux à faire. Cependant, Kimi est constamment en proie à l'autodestruction. Le long-métrage est en effet terrible quand il raconte la dépression d’un junkie et tous les efforts inutiles de sa petite amie pour le faire sortir de sa dépendance. Ce documentaire a probablement été bénéfique pour la réalisatrice, contribuant à son processus de deuil.

On peut aussi également interpréter ce film comme une métaphore de la société russe où l’on découvre comment Poutine drogue son peuple avec sa propagande (hypothèse corroborée par les discours de Poutine à la télévision et des images de manifestations réprimées). Le film met en lumière comment la jeunesse russe assiste, impuissante, au délitement de la société. Dans l’entourage du couple, les suicides sont nombreux, l’alcool et/ou la drogue omniprésents, et l’avenir bouché.

Vous l’aurez compris, How to save a dead friend n’est pas un film joyeux. Mais c’est un témoignage qui porte en lui une tendresse salvatrice, un appel bouleversant à toutes les jeunesses pour ne pas oublier.

Laurent Schérer