Dans son premier long-métrage, El agua, La réalisatrice espagnole Elena Lopez Riera nous convie durant un été dans une petite ville du sud-est de l’Espagne, à la rencontre d’habitants et plus particulièrement d’un groupe de jeunes filles et d’un couple qui se forme au début du récit. Le premier membre de ce couple est Ana (étonnante Luna Pamies - une révélation), une jeune fille qui vit avec sa mère (Barbara Lennie), tenancière d’un bar, et sa grand-mère (Nieve de Medina). L’autre est José (Alberto Olmo), un jeune homme revenu travailler dans l’orangerie de son père après, dit-il, un séjour à l’étranger.

Il règne une certaine étrangeté dans ce film, que l’on ressent presque à chaque instant et qui est liée aux histoires colportées par les femmes de l’ancienne génération dont les récits s’insèrent dans le fil de la narration : à chaque inondation une jeune fille disparait appelée par le fleuve. L’eau si nécessaire à la vie devient ici une menace. Pour autant, si l’eau manque, c’est la sécheresse assurée et la probable perte des récoltes. C’est le paradoxe sur lequel se fonde la communauté des villageois. Dans tous les cas, l’eau qui reste dans le fleuve est polluée et charrie des immondices, voire des cadavres d’animaux. Et quand elle  tombe du ciel, c’est par des pluies d’orage torrentielles qui font déborder le fleuve qui entraine alors tout sur son passage, au point d’avaler une jeune fille en victime sacrificielle.

Dans ce cadre, les jeunes semblent plus mûrs que les adultes. Parce qu’ils revendiquent une vie qui n’est pas résignation, parce qu’ils considèrent que les débordements du fleuve sont liés à la bétonisation plutôt qu’à des phénomènes occultes. Il n’empêche qu’ils doivent subir la loi des adultes tant qu’ils n’ont pas les moyens d’acquérir leur indépendance. En attendant, ils fument, discutent, draguent, dansent, et profitent des quelques divertissements que leur offre le village. Ils travaillent aussi, pour gagner quelque argent, l’été n’étant pas pour eux synonyme de désœuvrement.

Néanmoins les générations ne font pas que s’opposer. Des ponts sont ainsi maintenus entre Ana et sa grand-mère quand elle lui parle de sa jeunesse et que sa petite-fille l’écoute attentivement. Des liens se tissent encore entre José et son père qui partagent la même passion colombophile. Sans oublier ces jeunes au travail apprenant un métier, synonyme de transmission entre les générations.

La vie pour ces jeunes n’est pas un long fleuve tranquille car celui-ci peut être violent. Il n’empêche qu’El agua, malgré son atmosphère parfois inquiétante et mystérieuse est un film tendre, posé, doux et poétique, qui fait preuve de beaucoup d’empathie pour ses personnages.

Le long-métrage suit à la fois le cours de l’eau et celui de la vie aux points où ils rejoignent et/ou se disjoignent, les deux cours subissant la loi des hommes en faisant ce qu’ils peuvent pour pouvoir y résister.

Un très beau premier film d’une réalisatrice à suivre.

Laurent Schérer