S’inspirant de son enfance, le primo-réalisateur colombien Fabian Hernandez signe ici un film très personnel. Il a en effet grandi à Sante Fe, dans le centre-ville pauvre de Bogota. Il en résulte un film authentique, sensible, touchant, dans lequel Carlos (Dilan Felipe Ramírez Espitia), un jeune adolescent de seize ans, se débat dans un milieu qui veut lui imposer des codes qu’il ne souhaite pas partager. Il ne se sent en effet pas à l’aise avec la définition de l’homme, dur, viril, macho, (« un varon » signifie « un mâle ») qu’on souhaite lui faire porter. Mais suite à l’emprisonnement de sa mère, il se retrouve à la rue. Difficile pour un jeune garçon qui se sent responsable de sa sœur Nicole et des ressources financières nécessaires à adoucir les conditions de détentions de celle à qui il voue un grand amour filial.

Louvoyant sans cesse dans un fragile équilibre entre ses envies et les responsabilités qu’il se donne, il intègre une bande de dealers tout en essayant de ne pas franchir les limites qu’il s’est fixées. Ce louvoiement moral est à l‘image des errances du héros à travers son quartier de Bogota. Des déplacements qui nous rappellent les déambulations existentielles des personnages du néoréalisme ou du protagoniste principal du Nostalgia de Mario Martone. Il n’est cependant pas laissé complètement à la rue puisqu’on le voit intégrer au début du film un institut pour jeunes sans domicile, dans lequel les règles strictes doivent permettre de redonner aux adolescents une nouvelle chance de s’intégrer autrement que par la violence.

La mise en scène est épurée et le montage est à ce titre fluide, à l’opposé du découpage heurté de certaines séries policières, donnant au film une atmosphère particulière oscillant entre drame, solitude, espoirs, et émotions refoulées. Le réalisateur souhaite ici échapper aux clichés habituels liés à la Colombie, autour de la drogue, la violence ou les cartels. Pour autant, il se refuse à éluder la situation difficile de toute une population à qui on n’offre pas toujours le choix. De plus, en alternant entre documentaire et fiction, le réalisateur donne plus de réalisme à son film, même si cette approche se fait parfois au détriment du rythme, certaines séquences s’étirant quelque peu dans un but démonstratif. Pour autant, on se souviendra longtemps de la dernière séquence, particulièrement intense en émotion qui conclue magnifiquement le film. Le réalisateur réussit ici à transmettre l’essentiel de son intention, c’est-à-dire faire le portrait d’un adolescent sensible qui se rend compte qu’au final le libre arbitre existe.

Laurent Schérer