Le nouveau film de Sophie Letourneur est un régal. Certains lui reprocheront peut-être encore la vacuité de son sujet, si facile à pointer du doigt : les affres de deux bobos parisiens, et leurs petites tracasseries touristico-sentimentales. Mais il faut bien reconnaître une chose à la réalisatrice d’Énorme, c’est sa persistance, envers et contre tout, à vouloir harnacher le cinéma à la vie dans tout ce qu’elle a de plus banal, de familier, questionnant du même coup nos comportements, autant que nos attentes en matière de fiction.

Ça ne va plus comme avant, pour Sophie et Jean-Fi. Leur couple bat de l’aile. Le quotidien pompe toute leur énergie. « Moi je suis stressé, je suis stressé ! », se plaint-il sans arrêt. Elle, elle voudrait bien partir en vacances. Au moins quelques jours, sans enfant, juste tous les deux. Pas sûr que ça suffise à arranger les choses… Le problème c’est le quotidien, il faut le régler dans le quotidien, affirme Jean-FI (interprété par Philippe Katerine, en toute simplicité). Mais justement, répond Sophie, c’est bien le quotidien qu’il faut changer. « Ce qu’il faut, c’est rendre l’ordinaire extraordinaire. » Après mille et une tergiversations, et une bonne dose de forcing, ce sera finalement la Sicile. Elle aurait préféré l’Espagne pour sa part, mais lui semble faire un blocage : « C’est moche… L’Italie c’est quand même plus beau ».

Letourneur se joue ainsi de ce vieux cliché : le voyage en Italie, mère patrie de tous les amoureux de la terre, comme passage obligé pour n’importe quel couple digne de ce nom. Mais on est bien loin de Rossellini et de son célèbre film, bien loin d’Ingrid Bergman et du glamour bourgeois des sixties. Exit les costumes élégants et les manteaux de fourrure. Sous le soleil de plomb, de Palerme à Agrigente, on se traîne en short et en chemisette à carreaux. Les corps transpirent, les cheveux collent au front et les fringues à la peau. On se chicane pour un rien : une place de parking, le choix d’un restaurant, ou bien parce que l’autre met un temps fou à s’habiller alors qu’on a faim.

Le goût de la réalisatrice pour le trivial atteint ici son summum. Sur un mode ultra-mineur qui renoue avec l’esprit de ses premiers films (dont l’hilarant Les Coquillettes, qui mérite amplement d’être réévalué), elle semble ici faire un pied de nez à la critique en réalisant littéralement ce qu’on a souvent reproché à son cinéma d’être : des films de vacances, soi-disant un peu vains ou pas suffisamment « inspirés ». En gros, trop futiles pour être pris au sérieux… Rien de pire qu’un critique de cinéma pour juger ce qui mérite ou non d’être filmé. Il faut avoir une caméra entre les mains pour le savoir. Encore une fois, Voyages en Italie fait mouche. Et encore une fois, c’est dû à son humour décomplexé, à son impudeur, à sa frontalité intrépide — toutes ces petites choses fondamentales qui donnent aux films de Letourneur cette saveur particulière, cette spontanéité (qui cache en réalité une grande maîtrise), cette fraîcheur. Bref : un régal on vous dit !

Par ailleurs, le film marque aussi le retour de son auteure devant la caméra. Incarnant Sophie, réalisatrice comme elle (de quoi brouiller un peu plus la frontière entre réalité et fiction), elle nous livre au passage quelques pistes sur ses méthodes de travail. Dans la dernière partie du film, dictaphone en marche, le couple revient sur les derniers moments de ses vacances. Blottis l’un contre l’autre dans la chaleur du lit, se remémorant aussi bien les engueulades puériles que leur dernière nuit d’amour (par ailleurs, l’une des plus jolies scènes du film), les amoureux opèrent un petit retour sur soi qui finira par apaiser les tensions entre eux. Comme si, leurs aventures tout juste terminées, il s’agissait déjà d’en faire le récit. Une autre façon, toute personnelle et subjective, de ramener quelque chose à la maison…

Revenir sur les événements pour (se) les raconter peut avoir comme ça, parfois, un effet presque magique. Et finalement salutaire. En focalisant toute son attention sur l’intimité de deux quadras qu’elle dépeint sans fard ni complaisance, mais avec une tendresse infinie, Sophie Letourneur parvient à faire de l’ordinaire la matière première d’une belle comédie de vacances, où faire histoire à partir du vécu apparaît en définitive comme la meilleure des réconciliations possibles — avec l’autre comme avec sa propre vie.

Clément Massieu