Par définition l’indicible ne peut être dit. C’est pourtant à cette tâche que s’est consacrée Cécile Allégra. Après Voyage en barbarie (prix Albert Londres en 2015) qui racontait le périple de six jeunes rescapés des camps de déportation du désert du Sinaï, et Anatomie d’un crime sur les tortures systématiques que subissent ceux qui passent par la Lybie, la réalisatrice cherche dans son nouveau documentaire Le chant des vivants un langage pour rendre audible l’extrême souffrance. Le résultat de ses recherches est une expérience originale de thérapie par la musique.

Bailo, Egbal, Anas, David, Sophia, Hervé et Chérif sont des migrants qui sont passés par l’enfer libyen. En état de stress post traumatique, ils sont soutenus par l’association Limbo et sont accueillis à Conques (Aveyron) pendant quelques mois afin de mettre leur histoire en paroles et en musique. C’est là, pendant leur reconstruction, que Cécile Allégra les a filmés.

Ce documentaire a donc un double intérêt. D’une part rappeler encore une fois les horreurs que vivent les voyageurs sans papiers qui perdent beaucoup des leurs pendant le voyage, d’autre part montrer la possibilité de libération de la parole de ces personnes par l’art thérapie en général et la musique en particulier.

En effet ces victimes de tortures et de traitements déshumanisants ne peuvent raconter facilement leur histoire. La musique les y aidera, permettant de donner un nom à leurs souffrances. Au fur et à mesure des prises de vues, réalisées par sessions d’une semaine sur trois saisons, nous suivons ces jeunes gens en train d’écrire des textes de chansons qui seront ensuite mises en musique par le musicien Mathias Duplessy. On se rend compte ici des difficultés qu’éprouvent ces personnes à transmettre les images qu’ils ont en tête, de longs mois s’avérant nécessaires quand il s’agit de poser quelques mots sur leur vécu.

Le chant des vivants est un très beau documentaire malgré son sujet éprouvant.  Loin de victimiser les migrants, ce long-métrage témoigne d’un début d’espoir pour ces personnes en reconstruction, tout en proposant une voie d’aide pour leurs accompagnants.

Laurent Schérer