Les banshees d’Inisherin de Martin McDonagh (le réalisateur de 3 billboards, les panneaux de la vengeance) est un film bouleversant. La querelle ici mise en scène entre les deux personnages principaux est une métaphore du conflit irlandais, puisque l’action se déroule dans ce pays, mais le récit a une portée universelle et pourrait très bien concerner n’importe qu’elle autre guerre civile.

Habitants de l’île imaginaire d’Inisherin au large des côtes irlandaises, deux amis, Colm Doherty (Brendan Gleeson) et Padraic Suilleabhain (Colin Farell) se fâchent pour un motif obscur. Colm explique à Padraic qu’il ne veut plus le voir ni l’entendre. Surtout l’entendre d’ailleurs. Il veut consacrer tout son temps à la musique, composer des œuvres qu’il interprètera sur son violon et considère que les discussions avec son ami sont des pertes de temps. Leurs conversations, selon lui, perturberaient son inspiration. Bien évidemment Padraic tombe de haut d’autant plus que les mesures que prendra Colm pour l’éloigner deviendront de plus en plus radicales. Il faut dire que la superbe photo de Ben Davis qui met en valeur les magnifiques paysages des iles d’Aran où est tourné le film fait que cette querelle mesquine n’en semble que plus absurde dans ce merveilleux écrin empli de mélancolie.

Il n’y a donc aucune logique à trouver dans la confrontation entre les deux ex-amis, le réalisateur semblant vouloir nous faire comprendre qu’il en est de même pour toute guerre civile, réduite ici à sa plus simple expression, celle de deux êtres coincés sur une petite ile sur laquelle l’humeur des habitants change aussi vite que la météo. Seule la sœur de Padraic, Siobhan (Kerry Condon), finira par partir, lassée de cette vie étriquée dans une ile où les seules possibilités de sorties sont le pub et l’église.

Avec ces images McDonagh entraine son spectateur dans une histoire qui, tout en flirtant avec le fantastique grâce au personnage de la vielle Mrs McCormick, effrayante fumeuse de pipe habillée de noir et forcément oiseau de mauvais augure, n’en traite pas moins de nombreux sujets. En plus de la « guerre », à côté de la vraie dont on entend par moments au loin les détonations et qui prendra fin par l’accord du cessez-le-feu du 30 avril 1923, le réalisateur évoque les liens familiaux, la culpabilité, l’art, le temps perdu et la responsabilité qui incombe à chacun à travers toute décision.

La magnifique interprétation des deux acteurs, s’appuyant sur la précision de dialogues à la fois jubilatoires et glaçants et qui alternent entre humour et mesquinerie, contribue pleinement à la réussite du film.

Bref, Les banshes d’Inisherin est un film inclassable à découvrir sans tarder.

Laurent Schérer