Berck-sur-Mer, département du Pas de Calais, an 2015. Un crime atroce a été commis. La réalisatrice Alice Diop a décidé de revenir sur l’infanticide qui a défrayé la chronique à l’époque des faits. Contre toute attente, celle qui jusqu’à présent s’était illustrée par des documentaires prend le parti pris de la fiction, pour signer avec Saint Omer (nom de la ville où se situe la cour d’assises où est jugé le crime) un film qui vous remue au plus profond de vos entrailles. Alice Diop a su donner une portée universelle à ce fait divers. Comment s’y est-elle prise ? Je me le demande encore tellement la fluidité du montage vous fait oublier qu’il s’agit d’une fiction.

Il n’y a rien de sensationnel dans la relation des faits telle que les rapporte la narratrice, Rama (Kayije Kagame), écrivaine dans le film. Un tribunal et ses habitués : un avocat, un procureur, un juge, des témoins un jury et bien sûr l’accusée, Laurence Coly (Guslagie Malanda). Rien qui ne sorte de l’ordinaire du film de prétoire. Surtout que le long-métrage ne s’évade pas du huis-clos du tribunal. Pas de flash-back possible. Alors tout est dans la recherche des causes.

On ne peut pas parler d’empathie à propos d’un crime si monstrueux. Mais on peut chercher à comprendre. Comment une femme intelligente et éduquée a-t-elle pu abandonner son bébé à la marée montante ? L’explication donnée par la mère ne tient pas. Elle aurait été maraboutée. C’est pourtant à cette raison qu’elle s’accroche, ne pouvant elle-même expliquer son geste. Il faudra alors que Rama fouille dans l’inconscient de cette femme pour tenter d’y voir plus clair. Au risque de devoir s’interroger sur sa propre histoire et sa propre grossesse.

Et c’est peut-être par-là que le fil de l’universalité prend forme.  Qu’est-ce qu’il fait qu’une femme accepte ou non son enfant ? Qu’est-ce qu’il fait qu’un père désire ou non le devenir ? Qu’est-ce qui donne son identité à ces quelques kilos de chair que l’on nomme bébé ? Qu’est-ce qui fait le ciment d’une famille ? En s’interrogeant sur les causes factuelles de cet acte unique, la réalisatrice nous entraine à un questionnement général sur la maternité et au-delà.

En réalisant ce film complexe, dont le propos s’élargit sans cesse au fur et à mesure de l’avancée des plaidoiries, la réalisatrice nous offre une réflexion profonde sur notre humanité, évoquant le rôle de l’homme, la place de la femme, et l’espace que nous laissons aux femmes de peau noire dans notre société. Racisée, instrumentalisée, enfermée dans un stéréotype, celle-ci a bien du mal à construire son propre récit. C’est ce que cherche à faire Alice Diop à travers cette histoire. Lui donner une place, même si c’est celle d’un monstre dans le cas de cette mère infanticide.

Déjà multiprimé et représentant la France aux oscars, un film à ne surtout pas manquer.

Laurent Schérer