Il semble qu’il y ait deux courants, deux tendances de plus en plus nettes, dans le cinéma de Quentin Dupieux. La première serait celle de la comédie anxiogène, qu’on pourrait appeler « comédie métaphysicauchemardesque ». Ses meilleurs films appartiennent probablement à ce courant-ci. Puis il y a l’autre courant, celui de la comédie potache, héritière des Nuls et de Bertrand Blier, courant qui, lui, semble s’inscrire dans une tradition d’humour absurde à la française. Le nouveau Fumer fait tousser résulte plutôt de ce courant-là. Avec son « super-casting » (Demoustier, Zadi, Amamra, Lacoste, Lelouche) et ses caméos de luxe (Poelvoorde, Chabat, Exarchopoulos), ses allures de film à sketches et ses clins d’œil pop, on croit parfois avoir affaire à un programme d’humour TV estampillé Canal +. A priori, de quoi ravir les amateurs du genre, mais ça s’arrête là.

Pourtant, quelque chose continue d’intriguer chez Dupieux. Cela a sans doute à voir avec sa manière de raconter les histoires : sa capacité à toujours trouver les idées les plus aberrantes pour constituer des récits invraisemblables, mais possédant leur logique propre. Logique que le cinéaste se plaît à suivre jusqu’au bout, comme s’il s’agissait par-là de repousser le réel dans ses derniers retranchements, jusqu’à ce qu’il se retourne sur lui-même.

De quoi s’agit-il cette fois ? D’un groupe de cinq super-héros, « les justiciers les plus cools du monde ! », baptisé les Tabac Force. Emmené par le dégoulinant Chef Didier, rat d’égout au sex-appeal apparemment irrésistible, les cinq guerriers en combinaisons moulantes passent l’essentiel de leur temps à dégommer des monstres, tortues et autres bestioles géantes, usant des forces négatives du tabac pour les pulvériser, tout en faisant de la prévention contre la cigarette, parce que fumer « c’est nul, ça fait tousser ». On pourrait s’arrêter là : dans le genre n’importe quoi, on bat déjà des records. Mais quand le Chef Didier envoie tout ce beau monde en retraite au bord d’un lac, les petites vacances deviennent prétexte à une série d’histoires à dormir debout, que les protagonistes, bientôt imités par d’autres intervenants inattendus, s’amusent à s’échanger pour passer le temps. Des histoires d’autant plus incongrues qu’elles semblent surgir de nulle part, et sans crier gare le plus souvent. À partir de là, le récit principal se voit pousser des excroissances étranges comme autant de micro-fictions, bonnes occases pour un brassage des genres et quelques apparitions plus ou moins heureuses (on retiendra tout particulièrement celle de Blanche Gardin, avec laquelle on atteint des sommets de bizarrerie grinçante).

On a parfois l’impression, avec Quentin Dupieux, que la fiction tourne à vide. Que les détours que prennent le récit n’ont jamais de réelle motivation. Qu’ils sont gratuits, et qu’au bout du compte, ils n’aboutissent à rien. C’est à la fois le plus grand reproche qu’on pourrait lui faire ET ce qui fait toute la singularité de son cinéma : son inconfort intrinsèque, son caractère imprévisible. Ce léger mais très perceptible vacillement qu’il parvient toujours à produire, ce petit vertige qui finit par faire mouche, et qui suffit à remettre en question nos attentes en matière de fiction. On pense beaucoup à Buñuel (celui de La Voie Lactée ou du Fantôme de la liberté), dans la façon qu’à Dupieux de faire entrer ici et là un nouveau personnage, ouvrant ainsi une brèche vers une nouvelle histoire dont la conclusion n’apportera finalement rien, si ce n’est qu’elle permet au récit un énième détour pour mieux le faire revenir à son point de départ : de quoi jouer avec nos nerfs autant qu’avec nos zygomatiques. Par son refus entêté du sens et sa façon de nous balader avec une joie toute rigolarde, Dupieux réduit finalement son propos à l’essentiel : le plaisir pur et simple de raconter des histoires, aussi absurdes soient-elles.

Car ce qui sauve finalement le nouveau film de Dupieux, ce qui fait qu’il est un peu plus qu’une bonne blague entre copains, c’est qu’on y retrouve quelque chose de l’enfance : de la joie d’inventer et de raconter, quitte à raconter n’importe quoi. Du frisson de se faire rire et de se faire peur. Du plaisir de délirer, d’être vulgaire et même, pourquoi pas, un peu dégueu en passant. Que tout ça n’aille nulle part, qu’importe au fond ? Défier l’esprit de sérieux, surtout par les temps qui courent, c’est toujours bon à prendre.

Clément Massieu