Nombreuses sont les adaptations au cinéma d’œuvres littéraires. Nombreux sont aussi les remakes de films à succès. Ici c’est une émission de télévision qui inspire un film. En effet Poulet frites est un prolongement pour le cinéma de l’émission Strip-tease, qui a trôné sur les petits écrans belges et français entre 1985 et 2002.

Le créateur, producteur, et rédacteur en chef de l’émission culte, Jean Libon, a, pour cette nouvelle création, visionné avec son complice Yves Hinant des centaines d’heures de rushes tournés pour les besoins de l’émission. Ils vont en extraire la matière suffisante pour un documentaire pensé pour les salles, autour d’une sordide affaire bruxelloise de meurtre d’une femme toxicomane. À partir des images tournées à l’époque pour l’émission Strip-tease, les deux hommes, par ailleurs réalisateurs du documentaire multiprimé « Ni juge, ni soumise », nous donnent à voir ici un long-métrage surprenant et troublant qui s’appuie sur des faits réels.

Avec Poulet frites nous assistons ainsi au déroulé d’une enquête autour du cadavre égorgé de Kalima, retrouvé au domicile d’Alain. Celui-ci est aussitôt arrêté mais nie tout en bloc avec insistance. Il constitue cependant le coupable idéal. En effet, il était présent sur les lieux du crime au moment du meurtre, alors que des témoins indiquent qu’il s’était déjà disputé avec la victime. Et sa défense se résume, du moins au départ, par la phrase souvent entendue dans de mêmes circonstances : « je ne me souviens de rien ».

Le commissaire bruxellois Jean Lemoine va faire consciencieusement son travail et chercher à consolider l’accusation contre l’homme déjà inculpé du meurtre. Il ne néglige ainsi aucune piste pour expliquer les incohérences relevées dans le déroulement des faits et lever le voile sur les zones d’ombres de la tragédie.

Il est en particulier question d’un plat de frites, d’où le titre du film. Quand ont-elles été cuisinées, mangées, par qui, et dans quelle condition ? C’est en cherchant entre autres éléments la réponse à ces questions que le commissaire parviendra à mettre de l’ordre dans cette confusion et faire éclater la vérité.

Malgré la gravité des faits on s’amuse beaucoup dans ce film aux multiples rebondissements. Déjà, vous l’aurez compris, le plat de frites que constitue le fil rouge de l’enquête permet une autodérision salutaire, presque organique chez les enquêteurs. Ceux-ci, à tous les niveaux de la hiérarchie, juge, commissaire, inspecteurs ou agents, n’hésitent pas à en rajouter, mais à chaque fois, a-t-on le sentiment, à l’insu de leur plein gré. Ensuite, le personnage de l’accusé est par lui-même tout un poème. Quand il se défend en disant : « si j’avais tué Kalima je m’en serais aperçu quand même », on ne peut que rire d’une réponse si désespérément cocasse.

Malgré tout on n’oublie pas qu’il s’agit d’une vraie enquête et que les obstacles rencontrés par ces policiers délicieusement vintage, le noir et blanc nous le souligne, font partie du quotidien de la police belge. Le film où apparait déjà la magistrate Anne Gruwez qui deviendra le sujet principal de « Ni juge, ni soumise », nous rappelle ainsi oh combien Strip-tease pouvait-être une formidable comédie humaine qui analysait sans détour les travers de nos institutions tout en cernant nos turpitudes humaines.

Poulet frites est tout simplement une réussite à voir en salles.

Laurent Schérer