Dans la Roumanie communiste des années 60, Serafim, un jeune pédiatre fraîchement diplômé, débarque à Palilula, ville fantôme perdue dans la plaine de Vallachie, pour y prendre poste dans l’hôpital où jamais aucun enfant n’est né.

Ça commence comme dans un roman de Kafka. Un paysage enneigé dans la pénombre du soir qui tombe. Une voiture à l’arrêt, phares allumés. Une silhouette en lutte avec le froid et le vent. Dans ce décor désolé, le jeune docteur semble devoir errer une éternité avant de trouver refuge… Il ne faudra pourtant pas longtemps pour qu’un wagon brinquebalant vienne balayer le silence et la solitude. Commence alors un voyage délirant de deux heures vingt fait de sauts dans le temps, d’improbables histoires et anecdotes, de créatures étranges, de fantasmes et de beuveries, entrecoupé de rires et de pleurs.

Tourné en 2012, boudé dans son propre pays, l’unique film du roumain Silviu Purcărete, par ailleurs grand metteur en scène de théâtre, est un drôle de bazar comme on n’en avait pas vu depuis longtemps. Jouant d’une artificialité assumée, d’un romanesque et d’une fantaisie inépuisable, Il était une fois Palilula est une comédie humaine délirante aux allures de farce macabre. À Palilula tout a l’air d’un jeu, à commencer par le travail. La politique ? Tout au plus sert-elle à tromper la faim et l’ennui. L’amour ? Les couples se trompent, s’ébattent dans les cimetières, se fracassent des bouteilles sur la tête en riant comme des enfants, avant d’aller faire recoudre leurs plaies. Les femmes changent de sexe à la pleine lune. Les bouteilles se vident à la vitesse de l’éclair. La musique est omniprésente et la mort côtoie de si près la vie qu’elle-même a l’air d’une blague de laquelle il serait possible de se relever. Il n’y a qu’à voir comme les cadavres sourient quand on leur ouvre le ventre…

Normal qu’aucun bébé ne naisse plus à Palilula, quand les adultes eux-mêmes semblent coincés dans une éternelle enfance. « Vive notre race vile et paresseuse ! » s’exclame le personnage d’Ilie, paysan et ivrogne, au début du film. Cette phrase reviendra souvent, comme un slogan, l’hymne joyeux d’un désenchantement libératoire. Contre le froid et la misère, la faim et les déboires en tous genres, les habitants de Palilula brandissent la moquerie et l’humour. Rien n’y est jamais grave. Au milieu du film, tous se trouvent réunis lors d’un invraisemblable banquet : un festin de grenouilles frites ! Sur la petite scène, on joue une opérette à deux sous. Touchés au cœur, les spectateurs sont en larmes. « Pleure pas, c’est du théâtre ! », bafouillera l’un d’eux à sa femme, tout en pleurant lui-même.

Il y a comme ça une étrange lucidité, une clairvoyance ironique dans l’œil et les paroles les plus imbibées des personnages d’Il était une fois Palilula. Jusque dans le cœur glacé et morose du bloc soviétique, dans la misère la plus impitoyable, l’imaginaire peut surgir à tout moment, et transformer le désespoir en une grande fête improvisée où même les morts sont invités à danser.

Concentré fantasmatique de la Roumanie d’après-guerre, le film de Purcărete est un hommage en forme de conte, peuplé de réminiscences, à un pays qui a su se servir du rire et du rêve pour transcender la folie de son histoire.

Clément Massieu