Le film de Céline Rouzet 140 km à l’ouest du paradis est un documentaire militant qui rappelle que les « vieilles » pratiques de ségrégation visant des populations autochtones existent toujours.

Le film commence avec des images de danseurs papous mais celles-ci sont bien éloignées de celles qu’avait rapportées de Nouvelle Guinée Barbet Schroeder dans son film La vallée, tourné en 1972. En effet les danses traditionnelles ne perdurent cinquante ans plus tard que dans le but d’attirer les touristes, et les populations locales sont exploitées par des compagnies gazières qui spolient les habitants de leurs terres contre la promesse pas toujours tenue d’une faible indemnisation.

Céline Rouzet a vécu pendant un long moment auprès des autochtones. Elle est venue seule, se déplaçant à pied et a appris la langue afin de vivre au plus près des habitants. Elle a ainsi réussi à se faire adopter par un peuple par ailleurs violent et dont les traditions patriarcales peuvent être brutales. Le documentaire ne tombe jamais dans la caricature qui mettrait en scène une lutte entre les « bons sauvages » et les méchants colonisateurs, mais filme simplement les troubles provoqués par des occidentaux qui viennent imposer leurs lois et leur culture.

Prenons un exemple simple, mais tout à fait caractéristique. ExxonMobil convoite des terres pour une exploitation gazière. Dans la logique occidentale la société pétrolière se doit d’indemniser les populations. Pour cela elle cherche à acheter les terres dont elle a besoin pour l’exploitation. Mais les Papous de cette région n’utilisent pas l’argent pour leurs transactions et ne connaissent pas la propriété privée. Vouloir acheter et clôturer un terrain délimité n’a donc aucun sens pour eux. Surtout qu’il est difficile pour les autochtones de s’opposer par écrit aux exigences des blancs formulées par contrat, car leur langue est orale. Seuls quelques-uns d’entre eux parlent et écrivent l’anglais, la langue des néocolonisateurs…

Cette œuvre remarquable met en évidence le mécanisme de colonisation d’un des derniers peuples qui restait encore un peu à l’écart de la « civilisation ». Un film qui jette un regard terrible sur notre modèle occidental qui s’est imposé partout et qui continue à anéantir chaque jour notre planète et ses populations au nom de l’idéologie capitaliste et de sa loi du marché.

Laurent Schérer