« Morricone  ».

Pour le cinéphile ce n’est pas un simple nom mais un patronyme de légende qui témoigne de l’âge d’or d’un cinéma européen qui damnait le pion aux USA. D’un point de vue personnel cette signature me rapelle également des moments de cinéma qui auront à jamais marqué ma cinéphilie.  Je pense aux films de Sergio Leone , ou au Grand Silence de Sergio Corbucci entre autres. On ne le dira jamais assez, Morricone n’était pas au service du cinéma, il l’incarnait tout simplement. Il avait réussi, plus que tout autre compositeur, à faire de la musique au cinéma un élément aussi primordial que la lumière ou le cadre.

A ce titre, Ennio signé par Giuseppe Tornatore réussit l’exploit de rendre tangible la dimension cinématographique de la musique de Morricone. Pour ce faire, le réalisateur utilise des séquences originales tirées de longs-métrages de Leone ou bien d'Elio Petri , dans lesquelles le cinéaste remplace la bande originale de Morricone par une autre partition. Un procédé simple mais terriblement efficace qui montre l’impact de la musique sur les images. Un souci de démocratisation vraiment notable de la part Giuseppe Tornatore qui arrive à expliquer de façon très simple la richesse des compositions du maitre. Il rend ainsi tangible des concepts tels que le contrepoint ou l’atonalité, des connaissances que l’on croyait réservé aux seuls étudiants en musicologie, mais qui sont indispensables pour comprendre à quel point Morricone expérimentait.

Tornatore qui était devenu l’ami intime du maestro italien, dresse ici un portrait émouvant d’un compositeur à la technicité incroyable mais qui au fond de lui était resté ce petit trompettiste sans le sou, jouant dans les clubs miteux pour payer ses études et aider sa famille.  À la différence de beaucoup d’autres musiciens obsédés par la volonté de démontrer leur savoir-faire musical, Morricone était surtout un virtuose qui avait du cœur. En effet, il suffit de quelques notes du maestro pour comprendre que l’émotion est au centre de la plupart de ses compositions, ce qui en a fait un des compositeurs préférés du grand public.

Cependant tout n’est pas parfait dans le film. À l’image du classicisme de la mise de scène, on regrettera des choix un peu convenus dans les bandes originales traitées. Ainsi, Tornatore passe parfois trop de temps sur des films qui ne font pas toujours avancer le propos, comme Mission , signé Roland Joffé . Sans doute, les bandes originales du Syndrome de Stendhal où il s’inspire de Bernard Herrmann , ou bien de The Thing qui le voit s’opposer à un réalisateur également musicien, auraient été plus pertinentes pour comprendre sa manière de travailler et sa volonté de se réinventer. On notera en outre une certaine condescendance de la part de Tornatore envers le giallo et certains cinéastes comme Elio Pietri. On pourra aussi regretter que son documentaire ignore en grande partie les nombreuses collaborations du maitre avec des cinéastes français. Dernier bémol, la conclusion un peu longuette où le cinéaste tombe dans l’hagiographie facile à force de multiplier les extraits d’interviews qui n’apportent rien.

N'ayez crainte, Ennio reste toutefois un excellent documentaire. Alors que le film dure plus de deux heures trente, on est transporté par l’œuvre absolument dantesque de Morricone dont on réussit à comprendre la démarche musicale, ce qui n’est pas un mince exploit de la part de Tornatore. Au final, Ennio est un film hautement recommandable pour comprendre l’importance de la musique au cinéma. À voir !

Mad Will