Inspiré du livre éponyme de Pedro Lemebel, Je tremble ô Matador du réalisateur chilien Rodrigo Sepúlveda est un film très touchant qui raconte l’histoire d’amour entre une vieille travestie à qui on donne pour nom La Loca (superbe interprétation d’Alfredo Castro) et un jeune révolutionnaire, Carlos (Leonardo Ortizgris).

L’action se passe au Chili en 1986 pendant la dictature du général Pinochet. Les personnages principaux se rencontrent après une descente de police dans une salle de théâtre au cours de laquelle Carlos sauve La Loca des griffes des forces de l’ordre et de la mort. Carlos va alors se servir d’elle, car elle lui est redevable, pour cacher des armes dans sa maison. Mais une complicité, d’abord factice de la part de Carlos, puis bien réelle, nait entre ces deux personnages. Cette complicité se transformera en amitié puis en amour parce que, comme le dit La Loca, « je n’ai pas d’amis, chéri, je n’ai que des amours ».

Pour Carlos cette rencontre lui fera prendre conscience de la profondeur de l’être qu’est cette « vieille folle » rejetée par tous les régimes : « Qu’importe qui nous gouverne, pour eux on ne sera toujours que des tafioles » avoue-t-elle. Lucide sur son compte « j’ai toujours été un problème, une tapette » et sur celui de ses semblables, elle n’en est pas moins capable d’amour pour celui qui la respecte et qui reconnaît son aide.

Une des forces du film est de réussir à exprimer des vérités à partir de personnages qui jouent tous un rôle. Que la première scène se déroule au cours d’une représentation est à ce titre révélateur. Que La Loca ne dévoile pas son nom l’est aussi. Quant aux objets dans le film, ils semblent tous jouer à cache-cache. On pense à ces armes dissimulées dans des caisses de livres mais surtout à cette  nappe brodée commandée à La Loca par la femme d’un colonel, dont le sort reste longtemps en suspens. Ce jeu de dupes se situe surtout au niveau du genre et de l’orientation sexuelle. La Loca et ses amies sont des travesties et Carlos, quoiqu’il s’en cache n’est pas si hétéro que cela.

Sur la forme le réalisateur joue avec adresse de la lumière, mais aussi des couleurs entre autres le bleu ou le rouge, changeant ainsi les dominantes en fonction des scènes afin de créer une harmonie, une chaleur humaine et une douceur imprévue. Un comble pour un film dans lequel se prépare un attentat !

C’est ainsi que le réalisateur conduit un film pudique et sensible, mettant en avant des êtes le plus souvent méprisés, rejetés ou invisibles (la scène où La Loca passe entre les policiers est à elle seule révélatrice de cet état), laissant le soin au spectateur de découvrir en filigrane une charge bien réelle contre des régimes politiques peu soucieux du sort fait à ces femmes et hommes qui sortent de la norme établie.

Un film très touchant à découvrir en salle.

Laurent Schérer