Seulement un an après la sortie de son dernier film, Mandibules, et tout juste un mois après la projection cannoise de son Fumer fait tousser, encore inédit en salles, Quentin Dupieux revient avec une nouvelle comédie barjo, Incroyable mais vrai. Alain Chabat et Léa Drucker y incarnent un couple, Alain et Marie, en pleine acquisition d’un pavillon de banlieue. Jusque-là, rien que de très normal. C’était compter sans la présence d’une mystérieuse trappe à la cave, qui, aux dires de l’agent immobilier, ne devrait pas tarder à changer leur vie…

Comme toujours chez ce réalisateur, tout part d’un postulat — le plus insolite sera le mieux ! — qu’il s’agira dès lors de dérouler jusqu’au bout, pour en tirer tout le potentiel d’absurdité, toutes les conséquences les plus barrées soient-elles.

Faire la critique d’un film de Dupieux est toujours délicat, tant il se plaît chaque fois à déjouer les règles de la vraisemblance et à saboter le cours traditionnel de la narration. Faire celle de son nouveau film est d’autant plus difficile qu’on n’a surtout pas envie d’en gâcher la surprise (ce fameux postulat de départ sur lequel repose toute l’histoire). On se contentera donc de dire qu’il y est question du temps qui passe, de dérèglement temporel et de la peur de vieillir, de virilité assistée et de pomme qui pourrit, le tout dans un cadre où la banalité vire progressivement à l’asphyxie, à tel point que tous les efforts pour prendre le contrôle de sa vie n’ont jamais paru si vains.

Si Incroyable mais vrai continue de creuser la veine potache que le cinéma de Dupieux semble prendre de plus en plus, il se double néanmoins d’une dimension métaphysique qui fait l’inquiétante étrangeté de ses meilleurs films. Dans celui-ci, c’est peut-être Léa Drucker qui incarne le mieux ce trouble, cette menace sourde d’un renversement. Il y a autant de tragique que de comique à voir son personnage se perdre dans sa course hystérique après ce qu’elle ne pourra jamais rattraper, et celui d’Alain incapable de la tirer de là, trop engoncé qu’il est dans son train-train quotidien. Car au milieu de tout ça, le personnage d’Alain demeure, pépère et impuissant, mais comme bizarrement étranger à ce qui arrive. Assis près de la rivière avec son chien et sa canne à pêche, il semble incarner à lui seul tout le petit monde de Quentin Dupieux : un monde où la normalité a si bien pris ses aises que même les choses les plus extravagantes, les événements les plus extraordinaires, au fond, ne sauraient plus vraiment nous surprendre.

Chaque personnage, à sa manière, semble se débattre avec le temps, que cela soit en luttant contre lui ou en le perdant en des désirs insensés. Sur ce point, Benoît Magimel excelle en beauf nouveau riche : on le croirait sorti d’un sketch de Jean-Marie Bigard, revu par les Monty Python.

Cette question du temps qui nous échappe est au cœur d’Incroyable mais vrai : ce temps après lequel on court, après lequel le film lui-même, sur sa fin, semble courir — délaissant dans les dernières minutes toute progression dramatique pour laisser les mois, les années filer, dans un montage qui les dévore sans même laisser le temps de s’en émouvoir.

Aussi bien conte moral que comédie existentielle, Incroyable mais vrai parvient ainsi à nous rendre — en mode mineur, et comme si de rien n’était — ce sentiment d’une réalité si sûre de son fait qu’elle ne se sent même plus pourrir de l’intérieur.

Clément Massieu