Le film d’animation colombo-franco-suisse Jungle rouge de Juan José Lozano et Zoltan Horvath revient sur la guerre qui opposa les Forces Armées Révolutionnaires Colombiennes (les FARC) à l’armée de ce pays pendant près de soixante années de 1960 à 2016. Cette sombre période fut le théâtre de nombreux combats et exactions qui firent des dizaines de milliers de victimes dans la population civile.

Les réalisateurs n’analysent pas les fondements de cette guerre, ni son déroulement précis, mais s’attachent plutôt au personnage de Raul Reyes. Ce numéro 2 de la guérilla, tué dans un bombardement en 2008 a laissé derrière lui des ordinateurs sur lesquels ont été retrouvés huit années de correspondances et de messages qui ont permis de reconstituer la vie et les préoccupations de ce chef révolutionnaire. C’est grâce à cette exceptionnelle trouvaille que les réalisateurs ont pu imaginer et réaliser leur long-métrage.

Ce film captivant et tout en tension décrit la dérive mégalomaniaque d’un homme au départ convaincu du bien-fondé de sa lutte mais dont l’idéologie a fini par causer sa perte et celle de toute la révolution colombienne. En effet, si les FARC ont réalisé leurs premiers succès en s’appuyant sur le soutien d’une population constituée de paysans surexploités et sans terre, le choix de privilégier le succès militaire au mépris des dommages collatéraux ont peu à peu coupé la guérilla de sa base. Pratiquant une politique de prise d’otages à grande échelle (on se souvient en France de sort d’Ingrid Betancourt), les FARC ont fini par s’isoler. Prisonnier de sa propre logique, voyant des complots et des ennemis partout, le commandant Raul s’obstinera donc tel le Aguirre de Werner Herzog, à suivre une ligne de plus en plus meurtrière pour les populations et ses propres troupes.

Bureaucrate formé en RDA, le commandant Raul a été à bonne école pour produire de très nombreux textes. Utilisant cette matière retrouvée après sa mort qui contenait aussi des détails plus intimes concernant sa relation avec sa famille, les réalisateurs ont concocté un scénario pour mettre en scène le contenu de ces écrits numériques. En effet il leur est apparu très vite à la lecture de ces mails que le personnage ainsi dévoilé remplissait toutes les cases pour devenir un protagoniste de fiction. Plutôt que de rechercher la fameuse caution d’une reconstitution historique qui est toujours sujette à l’interprétation, ils ont préféré rendre compte de la période d’une façon réaliste en s’affranchissant des contraintes liées au cinéma documentaire. 

C’est aussi pour cela qu’a été fait le choix heureux et judicieux de l’animation. En effet, celle-ci offre une plus grande distanciation avec l’Histoire, tout en permettant la création d’images oniriques et fantastiques qui traduisent au mieux les préoccupations et angoisses du commandant Raul. Ces passages sont clairement séparés du reste du film grâce à l’utilisation d’une technique différente, une simple animation en 2D. Ils apparaissent alors dans les moments de sommeil ou de délire du commandant Raul. Quant aux images qui retracent la vie des guérilleros dans l’atmosphère étouffante de la jungle, elles ont été créées à partir d’un montage de films réalisés avec des comédiens humains. Selon un principe proche de la rotoscopie les décors ont été ainsi redessinés autour des personnages. Le trait particulier, très rouge et très éloigné d’une esthétique cartoonesque, fait de la jungle et des personnages qui y évoluent un univers original et le plus souvent cauchemardesque.

Au final, ce film d’animation passionnant nous permet d’appréhender l’histoire de la Colombie par le biais de la mise en image de la dérive autoritaire de l’un des dirigeants historiques des FARC.

Laurent Schérer