Beaucoup de cinéastes se revendiquent d’une filiation rohmérienne mais peu comme Ryusuke Hamaguchi en ont autant compris l’essence. Les Contes du hasard et autres fantaisies est tout simplement une merveille : un film à la fois léger et profond, drôle et sérieux, tout simplement délicieux. Un film que l’on déguste comme une tasse de thé accompagnée d’un petit gâteau. Les trois contes en huis clos qui constituent le film sont tellement denses qu’on aurait besoin d’un entracte entre chacun d’eux. Ni aventure, ni conte des quatre saisons ni même conte moral, Hamaguchi va plus loin, son cycle semble ici constitué de contes existentiels.

Le premier conte, Magie ?, raconte une histoire de triangle amoureux. Deux filles discutent dans un taxi sur l’amour et la vie, et en particulier sur une rencontre récente entre l’une des jeune filles et un bel homme cultivé et disert. Mais rapidement le scénario force le spectateur à s’interroger : quelle image a -t-on d’un tiers ? Celui-ci donne-t-il d’ailleurs la même en fonction des personnes qu’il côtoie ? Le désir que l’on porte sur l’autre ne change-t-il pas l’image que l’on a de lui ?

Le second, La porte ouverte, est une histoire de séduction. Une étudiante qui, quoique mariée et mère de famille ne se prive pas de fréquenter un boy friend, cherche à séduire un écrivain plus âgé. Il s’ensuit avec ce dernier, par ailleurs un de ses anciens professeur, une discussion à la fois érotique et littéraire de haute volée. La fin de l’histoire est inattendue pour tous les protagonistes, ainsi que pour le spectateur. Comme quoi une fois le feu allumé, il va où cela lui chante...

Dans le troisième et dernier, Encore une fois, deux femmes se croisent à la sortie d’une gare. Elles pensent se reconnaitre en anciennes amies de lycée. Ce conte pose la question : voit-on l’autre ou l’image de lui que l’on a gardé en mémoire ?

Le point commun de ces trois contes, en plus d’être des expositions de désirs de femmes, est, comme le titre l’indique, la notion de hasard sans lequel ces histoires n’auraient jamais eu lieu. Et de ce fait le réalisateur explore ce qui fait un aspect essentiel de nos existences. Qui peut dire qu’un événement imprévu ou une rencontre fortuite n’a jamais changé le cours de sa vie ? Si... De ce que produit le hasard, on peut chercher à l’ignorer, ou au contraire le cultiver, mais l’imprévu n’est-il pas une des beautés du monde ? En s’attachant à décrire ce que produit cet inattendu, Hamaguchi scrute avec une finesse unique le jeu de la séduction sociale et amoureuse.

Quant à la forme, que dire d’autre que les acteurs semblent aussi à l’aise dans l’expression des dialogues, pourtant complexes et fournis, que le metteur en scène dans le positionnement de la caméra ? Une forme simple et sans artifices superflus qui permet au spectateur de se concentrer sur l’essentiel.

Cerise sur le gâteau, Ryusuke Hamaguchi ne nous laissera pas sur notre faim : quatre autres Contes du hasard sont en préparation... On a hâte.

Laurent Schérer