Régis Sauder avait tourné en 2011 au lycée Diderot de Marseille un film dans une des classes d’Emmanuelle. L’enseignante de Français avait été révoltée par le mépris pour la culture qu’affichait le président de la République d’alors Nicolas Sarkozy, quand il évoquait La Princesse de Clèves. C’est pourquoi elle avait demandé à Régis Sauder de venir tourner un documentaire durant ses cours autour de Madame de Lafayette. Les portraits de la professeure et de ses élèves appartenant à des quartiers ostracisés ont donné un film : Nous, princesse de Clèves.

Dix années plus tard, Régis Sauder revient avec En nous sur les parcours de dix des protagonistes de son premier film. Ceux-ci ont vécu des histoires très différentes, tant sur le plan professionnel que familial. Beaucoup sont heureux de la vie qu’ils mènent maintenant même si d’autres sont plus amers lorsqu’ils évoquent les dix années écoulées. Mais tous sont lucides sur un point. Il n’y a eu aucun progrès social durant ce laps de temps. Qu’ils travaillent dans l’éducation, la santé ou dans la fonction publique, tous ceux dont la tête est « différente » ressentent encore et toujours la ségrégation aussi bien dans leur travail que dans leur vie quotidienne. Une situation qui conduit une majorité d’entre eux à lutter pour une meilleure place dans la société.

Le constat sur les dix années passées est assez terrible, car certains se sentent dans « l’élite » par rapport aux jeunes qui se trouvent actuellement dans une plus mauvaise position que la leur au moment du premier tournage. La promesse de l’égalité des chances s’est encore éloignée. À la fin de sa séquence, Emmanuelle a organisé des rencontres entre ses classes qui étudient l’œuvre de Madame de Lafayette et des anciens élèves présents dans le film Nous, princesse de Clèves. Captés par Régis Sauder, ces échanges permettent au spectateur de mesurer l’évolution des esprits et des conditions de vie à travers le jeu des questions-réponses entre les deux générations, qui n’ont finalement que dix ans d’écart. Souvent, les élèves des « quartiers » trouvent alors chez leurs ainés des modèles qui leur font cruellement défaut au quotidien.

Sans qu’il soit nécessaire d’avoir vu Nous, princesse de Clèves, ce documentaire nous convie à une expérience passionnante qui met en évidence les problèmes systémiques de notre société. Un documentaire qui témoigne de la complicité entre les anciens élèves d’Emmanuelle qui pour beaucoup étaient restés en contact, soudés par l’expérience du premier film. Il est fort à parier que ce nouveau métrage resserra encore plus les liens du groupe. Mais surtout, s’il n’y avait qu’une leçon à retenir de ce documentaire, c’est que rien n’est joué à l’adolescence. Il est impératif de construire un cadre qui laisse sa chance à chacun.

Laurent Schérer