À la manière d’Anny Duperey qui, dans son livre autobiographique Le voile noir, reconstruisait ses souvenirs grâce à des clichés photographiques, Joana Hadjithomas et Khalil Joreige filment dans Memory box une jeune fille qui va découvrir la jeunesse de sa mère en fouillant dans un carton contenant des cahiers, bandes magnétiques, photos et journaux intimes que celle-ci produisait ou recueillait dans sa jeunesse. Le film est une pure fiction mais s’appuie néanmoins sur des documents privés du couple de réalisateurs, procédé qui permet de donner une certaine authenticité  au récit. En effet, à l’instar de sa jeune héroïne, Joana Hadjithomas restée à Beyrouth dans son adolescence pendant la guerre avait elle aussi communiqué quotidiennement avec une de ses amies exilée.

Le film met en scène trois générations de femmes. Nous avons la plus âgée, Téta (Clémence Sabbagh), qui a quitté le Liban pour le Canada après la mort de son mari. À ses côtés, nous retrouvons Maia (Rim Turki), sa seule enfant depuis la mort de son fils six ans auparavant, et Alex (Paloma Vauthier), sa petite fille. Les hommes sont ici morts ou absents puisque le père d’Alex est parti vivre en France une nouvelle vie. Le jour de Noël la famille reçoit un mystérieux colis en provenance de Beyrouth. Téta veut renvoyer le carton, Maia veut le cacher et Alex bien sûr ira fouiller dedans. Elle y découvrira sur toutes sortes de supports les récits que sa mère Maia, alors âgée de 13 à 18 ans, a envoyé́ à sa meilleure amie Liza partie à Paris pour fuir la guerre civile.

Le film traite alors du souvenir, mais aussi du mensonge, quand Alex se demande pourquoi la jeunesse de sa mère lui avait été cachée, les deux pouvant être liés. En effet, est-ce qu’on retient bien tous les faits ? Certains souvenirs s’estompent, d’autres se transforment et, au final, la mémoire est-elle fiable ?

Memory box s’attache aussi à décrire les liens et relations qui unissent ou fâchent les trois femmes, Alex tenant le rôle de celle qui pose les questions dérangeantes et met les pieds dans le plat. En effet, elle se rend compte, au fur et à mesure de ses découvertes, que sa mère avait été une adolescente révoltée comme elle, voire plus, et se demande ce qu’il pouvait bien y avoir de si important à cacher. Elle questionnera donc sans relâche sa mère et sa grand-mère pour avoir des réponses.

Joana Hadjithomas et Khalil Joreige montrent ici leur amour des images. Parfois les photos s’animent, les personnages se mouvant à l’intérieur de celles-ci. Les réalisateurs opèrent aussi un subtil mélange qui recompose les époques, insistant ainsi sur le parallèle des caractères des mères et des filles. Ce que faisait la mère avec papier et argentique, la fille le réalise avec son smartphone par le biais des réseaux sociaux. Ce mélange des technologies et des temporalités met évidence la constance des problématiques familiales ainsi que le rapport entre la mémoire individuelle et la mémoire historique. Un film très riche, actuellement au cinéma.

Laurent Schérer