Ouistreham est l’adaptation libre du livre de Florence Aubenas Le quai de Ouistreham par Emmanuel Carrère.

Si le cinéaste reprend la trame de l’ouvrage  où l’écrivaine se retrouvait à travailler avec les femmes de ménage en charge de la propreté des ferrys de la ligne Ouistreham – Portsmouth, il s’en éloigne dans son traitement. En effet, si Florence Aubenas s’attachait à une description documentaire de son expérience, Emmanuel Carrère penche nettement du côté de la fiction. Il introduit pour cela des scènes inédites et s’attache à la relation entre Marianne l’écrivaine (Juliette Binoche) et Christèle, l’une des femmes de ménage (Hélène Lambert). Ce changement de point de vue fait qu’au final le film ne correspond pas au livre. Cela dit, à la façon d’un Ken Loach dans Sorry we missed you, la thématique de la précarité reste prégnante, et rien que pour cela le film mérite d’être vu.

 « Comment raconter ? » Cette  thématique générée par la fiction et sa mise en abyme prend tout son sens avec une œuvre comme Ouistreham. Peut-on, lorsqu’on est aisé, raconter la vie de ceux qui ont peu ? Cette question d’actualité, car on entend de nombreuses polémiques au sujet de la légitimité des écrivains à porter dans leurs écrits d’autres mondes que les leurs, est plutôt bien amenée. Sans donner de leçons, le cinéaste joue sur les deux tableaux, mêlant fiction et réalité. Il met ainsi en scène dans son film un personnage inspiré par Florence Aubenas qui se sert de ses collègues de travail comme sujets d’expérience et matière à son livre, et d’un autre côté, embauche, pour incarner les femmes de ménage qui l’entourent, des interprètes non professionnelles, celles décrites dans le livre. Le spectateur se retrouve alors plongé dans un porte-à-faux générateur de questionnements sur notre société.

La réponse à la question de l’écriture ne peut être simple. C’est pourquoi il convient d’apprécier ce film comme l’apport d’une brique à la réflexion sur ce sujet.

Laurent Schérer