Luzzu est le premier long-métrage du cinéaste d’origine maltaise Alex Camilleri.

Jesmark (Jesmark Scicluna) est un pécheur maltais (le personnage comme l’acteur) et le père d’un bébé de trois mois. Pour sa pêche traditionnelle, il utilise un Luzzu, qui est un petit bateau en bois peint aux couleurs vives. Respectueux de l’environnement et toujours prêt à rendre service, il pense pouvoir vivre d’amour et d’eau fraîche. Entre le salaire de serveuse de sa femme Denise (Michela Farrugia) et les quelques poissons vendus à la criée, le couple se contente de peu. Mais les problèmes de croissance de son fils qui nécessitent des soins couteux vont l’obliger à changer sa vision des choses. Cette vie dont la voie semblait toute tracée va alors basculer.

En aucun cas moralisateur, le cinéaste montre comment Jesmark devra évoluer entre renoncements et convictions, en fonction de ce que lui dicte sa conscience, la nécessité de faire vivre sa famille et d’en assurer la cohésion. Surtout, le réalisateur nous dévoile comment la circulation de l’argent entraine la corruption, la destruction d’un mode de vie et d’une culture, ici celle de la pêche ancestrale. On ne peut s’empêcher alors de rapprocher ce film du courant néoréaliste Italien, en particulier du film La terre tremble de Luchino Visconti, le sujet et son traitement étant comparables.

Il ne s’agit donc pas d’un thriller piscicole, pas de meurtre ou de sang qui coule à flot ici mais des contournements de règles et bien sûr des pots-de-vin pour que l’inspecteur des pêches ferme les yeux. Le pire des crimes est à première vue le sectionnement des filets des pêcheurs sur des embarcations rentrées au port. À première vue seulement, parce qu’à la réflexion la mise à la casse des Luzzu, moyennant une petite prime de la Communauté européenne, n’est-il pas le plus grand des crimes ? Le réalisateur en tout cas le laisse à penser.

Sobre dans sa prise de vue, efficace dans son scénario, authentique dans son rendu, le film va à l’essentiel : la dénonciation d’une société qui broie les hommes, aidée par une bureaucratie aveugle qui gomme les particularismes culturels et fait perdre à certains le sens de leur vie.

Laurent Schérer