Le cinéma d’horreur…

On réduit trop souvent les amateurs du cinéma d’horreur à de simples férus d’hémoglobine. Définitivement mauvais genre, le cinéma d’épouvante est raillé par certains intellectuels, quand il n’est pas la cible des bigots qui le considèrent comme une manifestation du malin. Faites de chair et de sang, les images parfois difficilement soutenables que nous offrent des films comme Saw ou l’Au-delà de Lucio Fulci agissent selon le principe de la catharsis grecque car elles permettent à l’être humain d’expérimenter la peur. Alors que beaucoup de nos concitoyens adoptent la célèbre technique de l’autruche, l’amoureux du cinéma d’horreur grâce à la fiction s’amuse à l’expérimenter, la jauger et finalement la comprendre.  Ainsi si vous êtes parents, je vous demanderais de réfléchir à deux fois avant de crier sur votre progéniture qui regarde Martyrs et autres joyeusetés gore à peine rentrée dans l’adolescence. Repensez toujours à l’abîme que représente le fait de devenir adulte pour un esprit humain, et vous serez alors soulagés de le voir amateur d’un genre qui lui permet d’incarner les difficultés rencontrées dans son apprentissage de la vie.

Dans le cas de George Romero qui a réalisé The Amusement Park, celui-ci a vite compris que l’épouvante pouvait être un terreau idéal pour la contestation, quand il vit enfant les ligues bienpensantes condamner les comics d’horreur des années 50. Romero a été l’un des maitres du genre horrifique, mais pas seulement par rapport au visuel de ses films. En effet l’horreur dans ses films est surtout porteur d’un message politique. Discrimination raciale dans La Nuit des morts-vivants, condamnation de la société de consommation dans Zombie, son cinéma n’a cessé durant toute sa carrière d’user d’allégories pour évoquer une Amérique où l’argent a petit à petit gangréné la société.

The Amusement Park était à l’origine un film de commande financé par une association caritative luthérienne afin de recruter des bénévoles pour s’occuper de personnes âgées. Quand on découvre ce long-métrage qui a fortement déplu à ses commanditaires, il est clair que nous avons affaire, non à un film promotionnel, mais à une œuvre artistique où le réalisateur réemploie tout son savoir-faire dans le cinéma d’horreur pour parler d’un sujet ancré dans le quotidien : la vieillesse. Un long-métrage qui vous prend aux tripes à la manière des meilleures réalisations de Romero qui a pensé The Amusement Park comme un uppercut émotionnel, afin de nous faire ressentir la détresse de nos aînés. Pas vraiment narratif, The Amusement Park est un long cauchemar d’une cinquantaine de minutes où l’on suit un vieil homme habillé en blanc dans un parc d’attractions. Maltraité, traité comme un freak dans un cirque à la Tod Browning, notre héros censé incarner le troisième âge devient le punching-ball d’une Amérique où les pauvres, les déclassés et tous ceux qui ne correspondent pas à l’idéal de jeunesse et de réussite sociale des USA, sont anéantis comme dans la séquence du restaurant.

Le réalisateur de Zombi nous donne à voir ici non une œuvre naturaliste, mais un long cauchemar aux limites du cinéma expressionniste allemand. Il nous fait littéralement vivre, par le biais des différentes attractions de son simili «Eurodisney» gériatrique, des expériences malaisantes et souvent cruelles. Toujours punk dans son approche, Romero souhaite avant tout provoquer ceux qui participent à une société obsédée par l’apparence. Par le biais de ses images, il veut nous révulser, nous choquer, pour nous faire partager par le biais de scènes allégoriques le sentiment d’abandon que vivent les plus anciens. En cela, The Amusement Park peut être apparenté au cinéma d’horreur, même si aucune effusion de sang n’est visible à l’écran, car ce long-métrage n’est pas pensé pour le confort du spectateur, à l’instar de toutes les grandes œuvres du cinéma d’épouvante.

Comme après un passage dans un Grand Huit, on sort épuisé et un brin nauséeux après la vision de ce film qui dépasse amplement son statut d’œuvre de commande pour occuper une place de choix dans la filmographie du grand George. Tourné en 3 jours avec un budget ridicule et d’une équipe technique famélique, on retrouve durant les 55 minutes que dure The Amusement Park toute la puissance de son cinéma. En effet, il est impossible de ne pas penser à sa trilogie sur les zombies quand il filme ces personnes âgées désorientées. De même, nous noterons la présence d’une diseuse de bonne aventure qui rappelle Season of the Witch sans oublier la présence de bikers venant de son Knightriders.

Nous pouvons remercier la veuve du cinéaste d’avoir retrouvé la piste de ce film resté inédit pendant plus de 40 ans. The Amusement Park est une œuvre effrayante, car elle rappelle une horreur bien réelle en occident où nos aînés sont maltraités et déconsidérés. Un grand film à découvrir en salles grâce à Potemkine !

Mad Will