Le film de la réalisatrice tunisienne Kaouther Ben Hania, L’Homme qui a vendu sa peau, est l’histoire d’une rencontre particulière et inattendue entre deux mondes, celui de l’art contemporain et celui des réfugiés politiques.

Sam (Yahya Mahayni) est un jeune syrien qui ne désire qu’une chose : aller en Belgique retrouver celle qu’il aime. Il accepte de vendre sa peau à un artiste controversé, Jeffrey Godefroi (Koen De Bouw), qui fait de son dos la toile de sa prochaine œuvre : un immense tatouage représentant un visa Schengen. Ce pacte faustien de Sam avec l’artiste ténébreux et froid transforme son propre corps en création, mais se révèlera surtout être une marchandise. Le spectateur oscille alors entre fascination et rejet face à l’image si singulière de cet homme tatoué et exposé comme une œuvre d’art dans les musées européens.

Le marché de l’art exhibe ses extravagances, et fait du corps un pur objet de création pris dans un monde où règnent les échanges marchands. Celui de Sam devient un support de revendication et un outil de communication, gagnant un statut d’objet d’art non pas pour ce qu’il est mais bien pour la représentation qu’il véhicule, à savoir ici celle d’un système social et politique. C’est en devenant une marchandise que Sam peut circuler librement, qu’il peut traverser les frontières et se rendre en Europe et ainsi se libérer. Liberté relative, puisqu’il est désormais soumis aux lois du marché de l’art, qui attribuent de la valeur uniquement à ce qui est rentable. Le milieu de l’art contemporain est montré comme condescendant et indifférent, à l’image de l’assistante de Jeffrey, à la glaçante beauté, et interprétée magnifiquement par Monica Belluci.

L’identité de Sam ne lui appartient plus, il ne semble plus avoir de contrôle sur son propre corps. Il se heurte alors à un système qui l’enferme. Sa liberté, qu’il pensait avoir retrouvée, lui est à nouveau retirée, et c’est là tout le propos du film. Les problèmes sociaux développés par la crise des réfugiés rejoignent dans un même thème les questions éthiques soulevées par les pratiques de l’art contemporain, celui de la marchandisation des œuvres et du vivant et donc celui de la liberté, proclamée par Sam dès l’ouverture du film. Celui-ci devient alors une sorte de conte contemporain, un drame social et humaniste à l’esthétique subtilement travaillée. Jouant avec la lumière qui se fait parfois vive, la réalisatrice nous apporte cependant par moments une once d’espoir et de légèreté.

Kaouther Ben Hania mêle donc un sujet à la fois politique et social, avec une maîtrise formelle rare et lumineuse. Sam devient une allégorie de la liberté individuelle dans un monde cynique où les inégalités règnent, tout en étant le personnage principal d’une histoire d’amour touchante et déchirante.

Camille Villemin